TOURAINE

 

La patience du vin

 

Chez le véritable amateur de vin, il est une vertu supérieure aux autres : la patience. Sans elle, l’enchantement de la bouteille longtemps attendue, puis révélée à son heure, s’évapore aussi sûrement que la part des anges disparaît du tonneau. Parcours initiatique avec une cuvée fameuse de Marionnet.
 

Le vin est confrontation au temps. La cave est son lieu magique, où se trament ses affaires secrètes. Une authentique machine à remonter le temps se tapit dans ces bouteilles qui vieillissent doucement, et n’attendent que d’être débouchées pour nous murmurer la course des ans. Car voilà bien le seul aliment capable de nous faire absorber, physiquement, un concentré de la chose la plus immatérielle qui soit, la fuite des jours. Boire du vin, c’est boire du temps.

Attente délicieuse

Dans l’intervalle, tout est délectable. L’odeur de la cave, la sensation d’échapper au monde qu’elle procure à seulement quelques mètres de lui, les descentes inutiles qu’on y pratique comme un bonheur simple, la vibration silencieuse des bouteilles en maturation, les destins qui s’y nouent muettement. Délectable tout autant, lorsqu’on a l’œil un peu exercé, de guetter la trahison d’un dépôt, d’un brouillard de particules, d’un infime changement de couleur, sous le verre de la bouteille qu’on a extraite du casier et qu’on porte vers la lumière.
 

L’alchimie de la cave
 

Délectable de la reposer ensuite, avec la certitude d’une effraction prochaine, ou au contraire l’aiguillon masochiste d’une attente qu’il faut prolonger encore. On ne dira jamais assez la somme de supputations et d’interrogations, de promesses et d’espoirs que soulève un rang de flacons innocemment alignés sur le gravier d’une terre battue. L’amateur, lui, est comme l’abeille, qui transporte le pollen de fleur en fleur : en butinant de bouteille en bouteille, il disperse le suc de ses émotions et féconde à lui seul l’univers entier du vin.
 

Vingt ans après

Empruntons maintenant le chemin enchanté. Pour l’occasion, on a choisi un superbe blanc de Touraine élaboré par Henry Marionnet (voir également son aventure des vignes non greffées dans notre Carnet de cave n°4). C’est en 1988 qu’il lança sa cuvée spéciale de sauvignon, intitulée M de Marionnet. Elle est récoltée sur des perruches siliceuses, dans la meilleure parcelle de la propriété, et produite seulement certaines années, lorsque la vendange est très mûre (entre 14 et 15° naturels). Le millésime 1989, on s’en souvient, fut chaud et généreux. Goûté l’année suivante, le vin explosait de richesse et d’arômes. Pour le décrire, voici précisément nos mots de l’époque : "vêtu d’or étincelant, aromatiquement exubérant - mangue, ananas, beurre frais, noisette, foin coupé -, gras et opulent, tapissant la bouche à la manière d’une soierie épaisse".

Passons de l’autre côté du miroir, vingt ans après. On a ressorti la même bouteille, précieusement conservée à la cave. Métamorphose complète. Le vin est désormais méconnaissable. Sa robe, tirant sur le vert, est diaphane. Son nez, apaisé, distille de douces notes florales et mentholées. Il se révèle tout à fait sec, car il a "mangé" tous ses sucres. Une minéralité inattendue traverse son corps ferme et délicat. Sa bouche est dense, cristalline ; elle dessine une courbe hyper-élégante. La finesse s’est intériorisée, loin de la plantureuse cuvée du départ. On se retrouve simplement en présence d’un grand sauvignon, épuré par l’âge, transfiguré par le temps. Morale de cette histoire ? Souvent, la patience récompense l’amateur au centuple.



Métamorphosé par le temps
 

Tous droits réservés © 2011, Michel Mastrojanni (texte et photos)



 




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