CARNET DE CAVE N°2

 

Où l’on parle des vins du Château Langlet (Graves), du Domaine Combier (Crozes-Hermitage), du Château de Nouvelles (Fitou), du Domaine Leccia (Patrimonio) et de quelques autres encore.

 

Indices graves

Dans les Graves rouges cohabitent deux écoles : ceux qui privilégient le merlot, et ceux qui accordent primauté au cabernet-sauvignon. Dans la réalité, toutes les variantes d’assemblage sont possibles entre ces deux pôles - surtout si s’en mêlent, comme cépages accessoires, le cabernet franc ou le petit verdot. Le 100 % merlot (ou cabernet-sauvignon) n’est jamais pratiqué, le bon goût girondin s’opposerait à un tel extrémisme. Ce qui est commun à tous, en revanche, c’est le terroir, ces fameuses graves qui donnent leur nom à l’appellation. Des galets et cailloux charriés jadis par la Garonne, depuis les Pyrénées et le Massif central, et amoncelés en terrasses de Langon jusqu’à Bordeaux.

 

Le précieux sol graveleux

 

Le Château Langlet illustre la première école, avec un vin presque exclusivement merlot. Même un janséniste du cabernet reconnaîtra que c’est un choix heureux, tant l’adéquation du cépage aux graves profondes du vignoble rend ce vin éclatant. Le 2008 (90 % de merlot) est un modèle de rondeur et de naturel. En dépit d’un millésime difficile, le 2007 (80 % de merlot) est agréable et direct. Il faut dire que notre vin sort des mains expertes de Valérie Vialard, l’œnologue des Vignobles Kressmann (auxquels appartient le château), laquelle, en bonne disciple de Denis Dubourdieu, sait capter la quintessence du fruit et du terroir. Cette franchise sied comme un gant aux rouges de l’appellation, ne serait-ce que pour les démarquer du style plus noble qu’on rencontre en Pessac-Léognan. On en a aisément l’exemple avec le Château Latour-Martillac - grand cru classé de Graves, figure de proue des domaines Kressmann, et comme tel vinifié par Valérie Vialard. Ici, le rôle principal revient au cabernet : le 2005 illustre avec éclat la droiture et la profondeur du cru, de surcroît dans un millésime exceptionnel.

 

Tiercé gagnant

En Crozes-Hermitage, le Clos des Grives, la cuvée emblématique du Domaine Combier, étonne toujours par sa régularité. Il est vrai que Laurent Combier sait combiner l’exigence viticole (agriculture biologique) et le savoir-faire œnologique. Le Clos des Grives, issu des plus vieilles vignes de la propriété, use de toutes les armes de séduction de la syrah. Aucun des derniers millésimes ne dénote la moindre faiblesse. Le délicieux 2008, même s’il joue la souplesse, révèle les traits d’un vin discrètement complet. Le 2007 est plein, charnu, à la hauteur de cette année plutôt réussie en Rhône nord. Quant au 2006, velouté et parfumé, sa richesse de fruit est désarmante. On se régale des trois.

 

 

Pour précéder ce rouge d’une fiabilité à toute épreuve, on ne manquera pas les blancs - plus rares - de l’appellation. Ils ont le charme facile de la marsanne, que rehausse à l’occasion un zeste de roussanne. Dans L’Essentiel 2009 du Domaine des Hauts Châssis, la roussanne l’emporte néanmoins. Ce blanc flatteur exploite joliment la veine florale. Même élan fruité avec le Crozes blanc 2009 du Domaine Pradelle, dont on aime aussi beaucoup les rouges. La marsanne y reprend ses droits. Le vin est rond, bien en chair, et appelle un poisson de rivière, de préférence puissamment crémé.

 

Vieux carignans

A Tuchan, au cœur du terroir intérieur, le Château de Nouvelles est un peu le conservatoire du Fitou. Jean Daurat-Fort, très attaché aux méthodes traditionnelles, y poursuit avec persévérance l’œuvre de sa famille, démarrée au XIXe siècle. Sa Cuvée Saint-Martin 2006 célèbre le carignan (50 %), l’époux rêvé des terres brûlantes de cette haute Fitounie. Le velouté du grenache et de la syrah en atténuent la rugosité, et 12 mois de barriques civilisent le tout. Le vin est mûr, gourmand, équilibré. Carignan encore, en plus forte proportion (60 %), dans la Cuvée Gabrielle 2008. Elle provient d’une parcelle schisteuse de 1,96 ha, dont on a tiré à peine 50 hectolitres, et a connu le bois durant 18 mois. Notes torréfiées, bouche de velours, son élégance est incontestable.

Mais on aime surtout la Cuvée Vieilles Vignes 2006, carignan pour moitié, petits rendements à la clé. Les 36 mois de foudre ont assoupli sa charpente et sauvegardé sa fraîcheur. Capacité de garde ? Très grande. Le 1999 est d’une belle densité, avec la patine inimitable qu’apportent les vieux carignans. On se remémore alors les tuccitanes d’autrefois (bouteilles en forme d’amphore qu’utilisait le château), de vieux millésimes des années 70 et 80, remontés d’une cave amie en Cerdagne. L’altitude avait préservé leur longévité et, des flacons poussiéreux, s’écoulait un rubis toujours radieux, dont deux décennies n’avaient entamé ni la finesse, ni la puissance.

 

Dans le Haut Fitou

 

Sur la façade maritime, à Fitou même, le Château Champs des Sœurs offre une alternative plus moderniste. Dans la cuvée château, élevée dans l’inox, le grenache devance le carignan d’une courte tête : le 2009 est un petit régal gouleyant, framboisé, épicé, d’une parfaite netteté. Avec La Tina 2008, le carignan reprend le dessus (70 %). Elevée en foudres et demi-muids, elle garde ce côté salivant, mais avec plus d’ampleur.

 

Charme insulaire

Deux femmes talentueuses pour illustrer Patrimonio. A Poggio-d’Oletta, Annette Leccia met en valeur la singularité de ce terroir argilo-calcaire, parcouru d’affleurements schisteux - le seul de ce genre dans l’Ile de Beauté. Ses vignes sont taillées court, en cordon de Royat, et leurs rendements sont sages, autour de 40 hl/ha. Le travail en cave (dans l’inox) est précis. Ses vins sont un concentré d’énergie douce. Composé intégralement de nielluciu, le rouge 2007 a bénéficié d’un élevage de 24 mois. Fleurant le maquis, comme il se doit en Corse, il s’avère solide et complet. Issu du vermentinu, le blanc 2009 est direct, sans bavures : arômes floraux et anisés, rondeur souple, fraîcheur minérale.

 

Triomphe du calcaire en Patrimonio

 

Stéphanie Olmeta est installée à Patrimonio même. Chez elle, le nielluciu et le vermentinu règnent sans partage. Son rouge 2008 explose de fruit. Robe grenat et bouche soyeuse, c’est un vin délicieux, pour se régaler sans tarder. Jouant de la palette florale, le blanc 2009 vise à plaire immédiatement. Nos deux vigneronnes ont repris chacune leur propriété familiale au milieu des années 2000. Toute deux sont aujourd’hui en conversion biologique.

 

Tous droits réservés © 2011, Michel Mastrojanni (texte et photos)

 

 




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