TERRASSES DU LARZAC
 

Le balcon languedocien


Exfiltrés récemment de la famille des anciens Coteaux du Languedoc, les vins des Terrasses du Larzac bénéficient désormais d’une appellation à part entière, uniquement en rouge. Cette excellente production prend naissance sur un patchwork de terroirs, dans une zone très étendue, émiettée au pied du causse emblématique.
 

Bien qu’en dehors des limites du vignoble, le village de Saint-Guilhem-le-Désert - joyau roman tapi au détour d’une gorge de l’Hérault - est un peu l’épicentre de cette vaste aire d’appellation, très élastique, éclatée en de multiples îlots. A l’ouest, elle dépasse le lac du Salagou (commune de Mérifons) et remonte jusqu’au Pas de l’Escalette, lorsqu’on rejoint les villages templiers du plateau. Les îlots les plus à l’est s’aventurent jusqu’aux pieds des Cévennes (commune de Moulès-et-Baucels) ou redescendent aux environs de Montpellier (commune de Murles). Tout au-dessus se profile la silhouette tutélaire du mont Saint-Baudille. Du haut de ses 848 m, ce sommet battu par les vents toise le grandiose amphithéâtre, tapissé de garrigues et de vignes, qui s’effondre doucement vers la mer.
 



Vignes et garrigues aux pieds du mont Saint-Baudille

 

La fraîcheur sauvegardée

L’altitude, et l'influence climatique du plateau montagneux, sont d'ailleurs le bien le plus précieux des Terrasses du Larzac, grâce aux fortes amplitudes thermiques de l’été. Entre le jour et la nuit, les écarts de température atteignent facilement 20 degrés, induisant une maturation régulière du raisin et garantissant la fraîcheur ultérieure des vins. La vigne occupe des terroirs très variés, allant des galets roulés qui caractérisent les terrasses villafranchiennes jusqu’aux terres d’argile rouge qu’on nomme ici les ruffes, en passant par les arènes granitiques, les schistes et les tous les dégradés argilo-calcaires dont est capable le pays languedocien. Les vins marient les cinq grands cépages régionaux : le grenache, la syrah, le carignan, le mourvèdre et le cinsault - les assemblages devant retenir au moins trois d’entre eux. Une durée de douze mois au moins est requise pour leur élevage. Au total, une soixantaine de caves particulières et une poignée de coopératives se partagent l’exploitation de deux milliers d’hectares classés.
 



Ruffes (terres rouges) et capitelles à Saint-Jean-de-la-Blaquière

 

La majorité des producteurs des Terrasses ont adopté les règles de la viticulture biologique, ou les principes de la biodynamie. Néanmoins leur approche du vin est plurielle, d’autant que les origines et les parcours de ces vignerons, souvent établis de fraîche date, plaident pour l'extrême diversité. Un fruit prononcé, de la souplesse, une bonne digestibilité, c’est le style apparemment choisi par un certain nombre. Comme Géraldine Combes, à Puéchabon : son Mas des Brousses 2012 est lisse, délicieusement coulant, élégamment parfumé. Ou comme Charlotte et Clément de Béarn, à Jonquières : leur Château Jonquières La Baronnie 2011 (en magnum) est plein, glissant, d’une belle tonicité. C’est aussi le choix d’Olivier Jeantet à La Vacquerie : le Mas Haut Buis 2012 (en magnum) allie la rondeur et le fruit dans une simplicité réjouissante. Parfois l’élevage se fait sentir, comme chez Vincent Goumard, toujours à Jonquières. Son Mas Cal Demoura Les Combariolles 2012 (en magnum) oscille entre cassis et notes boisées, mais le soigneux équilibre de cette cuvée n’est en rien entamé.

 

Singularités

A l’occasion, l’un des cépages laisse son empreinte, comme ces vieux carignans centenaires que Sébastien et Béatrice Fillon conservent pieusement, sur les terres rouges de Saint-Jean-de-la-Blaquière. Leur Clos du Serres Humeur vagabonde 2012 (en magnum) fleure les baies qu’on cueille dans les buissons et désarme par sa franchise. Le cinsault est un élément constituant du vin de Gavin Criesfield, sujet britannique installé dans le joli hameau des Salces, sur la commune de Saint-Privat. Ce producteur volubile effectue toujours des vendanges précoces. Passée par des cuves ovoïdes et des foudres ovales, La Traversée 2011 dévoile une bouche puissante, mais tempérée par de la mâche et un côté minéral. A Saint-Félix-de-Lodez, Rémi Duchemin accorde au grenache la meilleure part dans son Plan de l’Homme Habilis 2011, robe sombre, généreux et charnu. Ce cépage domine également certaine cuvée de Delphine Rousseau et Julien Zernott, à Poujols, dont les vignes perchent à 350 m d’altitude, sur les contreforts immédiats du Larzac. Leur Domaine du Pas de l’Escalette Le Grand Pas 2012 (en magnum) est bien enrobé, mais garde muscle et fraîcheur.
 



Vignoble d'Aniane (au fond, le pigeonnier du Château Capion) 
 

Autre style, fort répandu dans le Sud : celui qui ne bride pas la richesse et la chaleur naturelles des vins, qui les encourage même quelquefois. On semble y incliner chez Alexandra et Jérôme Hermet, à Saint-Jean-de-Fos. Leur Domaine Alexandrin Les Hermes 2012 transforme la réunion de quatre cépages et d’un terroir de gravettes en une combinaison de saveurs chaudes, cacaotées, presque caoutchouteuses. Dans ce registre, certains vins se ressentent nettement de leur élevage en fûts. Tel celui de Frédéric Portalié, à Puéchabon : son Domaine de Montcalmès 2011 (en magnum), né d’une trilogie syrah-grenache-mourvèdre, est boisé, puissant, presque spiritueux, sur le cuir et la fève de cacao. A Jonquières, le Domaine La Pèira accuse fortement ce style "sudiste" plutôt démonstratif : la cuvée Las Flors de la Pèira 2012, même trio de cépages, se révèle très chaude, sur le fruit noir, avec des notes brûlées et animales. Occitan en prime ...

 

Une certaine garde

Sur les hauteurs d’Arboras, Marie et Frédéric Chauffray récoltent la syrah, le grenache et le cinsault sur une grande parcelle calcaire culminant à 400 m d’altitude. Leur Réserve d’O 2010 (en magnum) est dense et structurée, elle exhale de petits fruits très mûrs (myrtille, mûre). On apprécie particulièrement l’ampleur et le côté savoureux de cette cuvée - produite chez cette sympathique néo-vigneronne qui, depuis peu, préside aux destinées de la nouvelle appellation. On avait déjà souligné le travail de Guilhem Dardé, à Octon, dans la partie occidentale des Terrasses (voir article Coteaux du Languedoc). Son Mas des Chimères Nuit Grave 2012 (en magnum) est toujours richement fruité, charnu, plutôt explosif en bouche.
 



La vigne jusque sous le chevet de l'abbatiale de Gellone, à Saint-Guilhem-le-Désert
 

Dernière mention pour Olivier Jullien, à Jonquières, artisan notoire du renouveau languedocien, en même temps qu’il fut l’un des pionniers des Terrasses : son Mas Jullien 2008 (en magnum) en impose vraiment, solide, complet, d’une énorme présence en bouche. Il prouve au demeurant la réelle capacité de garde des meilleurs vins du cru. Et puis le pays est magnifique : entre deux caves, on peut pérégriner d’une perle médiévale à l’autre, de l’abbaye d’Aniane au prieuré de Grandmont, de la cathédrale de Lodève au vertigineux Pont du Diable ...
 

Tous droits réservés © 2014, Michel Mastrojanni (texte et photos)
 




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