CARNET DE CAVE N°15

 

Où lon parle des vins du Château de Portets (Graves), des Grandes Serres (Rhône sud) et du Château Rol Valentin (Saint-Emilion).

 

L’eau et le vin

Les grands vignobles se sont toujours épanouis auprès des grandes voies d’eau. Si l’eau du ciel assure l’alimentation hydrique de la vigne, l’eau des fleuves permettait autrefois le transport du vin, et lui ouvrait ses indispensables débouchés. Pour le flux sanguin des vins bordelais, la Garonne fut une artère vitale. Dans les Graves, au Château de Portets, elle en arrive à faire corps avec le domaine. Ici la vigne se mire directement dans cette rivière qui jadis emportait les flottes vineuses vers Bordeaux. Des rangs de merlot et de sémillon, de cabernet et de sauvignon, scandés par des haies de peupliers, rayent les berges. Au bord de l’eau se dresse l'ancienne Tour de Gascq, qui surveillait le trafic fluvial. Elle marque l’empreinte de la famille de Gascq, fameuse dynastie bordelaise qui détint le château entre le XVIe et le XVIIIe siècle, et lui donna sa belle ordonnance classique. De la terrasse de Portets, on embrasse une boucle majestueuse de la Garonne et l’on mesure l’osmose profonde entre le fleuve et le vignoble - situation parfaitement unique dans la région.

 

La Tour de Gascq, appelée aussi Tour du Roy

  
Au port, où l’on chargeait les barriques sur les gabarres, appontent désormais des embarcations plus modernes, vouées aux escales oenotouristiques. C’est une activité dont le château, sous l’impulsion de Marie-Hélène Théron, se veut aujourd’hui le fer de lance. Aux visiteurs d’un jour, cette dynamique propriétaire propose des vins de Graves dotés d’une grâce immédiate. Le Château de Portets blanc 2014, dans sa robe vert paille, est frais et glissant, avec des arômes fumés et de fleurs blanches, avivés par une touche de muscadelle. Le rouge 2012 offre de son côté une bouche souple et aimable, aux notes vanillées et de fruits rouges écrasés. Des vins à savourer sur la terrasse, lors d’une douce soirée de printemps, lorsque s’attardent Les Esprits de Garonne, aimables fantômes échappés du poème fleuve d’André Berry. (A propos de ce château, relire aussi notre article sur les Graves.)

 
 

 

Terre et mer

Breton et juriste, Samuel Montgermont n’a pas choisi la voie la plus courte pour faire carrière dans le vin. Les sortilèges de la vigne l’ont pourtant rattrapé voici cinq ans, lorsqu’il a pris les rênes des Grandes Serres, maison créée en 1977, à Châteauneuf-du-Pape, par le négociant bourguignon Michel Picard. Celle-ci a maintenant poussé des tentacules dans tout le Sud rhodanien, avec des chais à Gigondas et un pied largement posé  à Cairanne, grâce à son association poussée avec la cave coopérative locale. La gamme des Grandes Serres s’est depuis étoffée, sous des étiquettes délibérément traditionnalistes, qui visent à une lisibilité optimale.
 

 


Le Côtes du Rhône Les Portes du Castelas en donne le ton - plutôt ambitieux. Il est issu d’une petit vignoble de Vaison-la-Romaine, travaillé en biodynamie. Le blanc 2013, composé de grenache blanc et de marsanne, a été élevé pour 20% en barriques neuves. C’est un vin rond, charnu, fortement expressif, aux arômes floraux et d’amande. Le rouge 2015 applique l’assemblage rhodanien classique, renforcé d’une pointe de carignan. Il est gourmand, soyeux, parfaitement équilibré. Parmi les ingrédients du Cairanne Carius 2015, c’est près d’un tiers de mourvèdre qui épaule le grenache et la syrah. Le vin en retire son style droit et épuré, et sa belle franchise en bouche.
 

 

Gigondas, place forte des Grandes Serres (à gauche, l'église Sainte-Catherine)


Le Gigondas La Combe des Marchands 2014 est le fruit d’un partenariat intégral avec le Domaine Varenne, vinification incluse. La parole retourne au grenache, avec un complément de syrah et une petite touche de mourvèdre. Les macérations sont longues et l’élevage dure 18 mois, en cuves et barriques. Ce vin puissant et torréfié n’en délaisse pas la finesse, avec une fin de bouche fraîche et sans lourdeur. Le Châteauneuf-du-Pape La Cour des Papes blanc 2014 exploite la trilogie grenache blanc-clairette-roussanne. Il n’a pas fait de fermentation malolactique, pour préserver sa vivacité. Robe vert pâle, fleurs discrètes au nez, bouche nette et pure, finale minérale, cet emblème de la maison devra patienter quelques années pour tenir tête au soufflé à la bisque de homard. Mais pour arroser les fruits de mer (Samuel Montgermont s’en est fait le chantre - écoutez sa chanson Au Croisic), il faudra plutôt se rabattre, à défaut de Muscadet, sur le Côtes du Rhône blanc de la série Bistrot.


 

Retour gagnant

Nicolas et Alexandra Robin ont repris en 2009 le Château Rol Valentin, et réalisé leur premier millésime l’année suivante. Ce vignoble est posé sur le plateau de Saint-Emilion, près du quartier Corbin. Il encercle la maison sur un peu moins de deux hectares, dont une petite moitié vient d’être replantée en malbec, dans la terre argilo-sableuse qui caractérise ce secteur. Néanmoins, le gros morceau du cru se situe à quelques kilomètres de là, sur la commune de Saint-Etienne-de-Lisse, où il occupe de belles situations argilo-calcaires. L’ensemble totalise un peu plus de sept hectares, où le merlot joue la partition principale (90%). Nicolas Robin pratique une viticulture respectueuse du sol et de la plante, et se verrait bien tenté par l’expérience biodynamique. Dans son chai, il marie des barriques neuves (50%) et d’un an (40%). Pour le solde, il s’est rangé aux avantages de la cuve ovoïde en béton, et envisage de doubler ce mode de vinification.


Chai à barriques du Château Rol Valentin

 

Le Château Rol Valentin, qui bénéficie de l’appellation Saint-Emilion grand cru, se montre plutôt retenu les premières années. Tenue grenat sombre, nez à dominante de fruits noirs, le 2015 est encore dans les limbes. Sa bouche, fine et aromatique, possède un équilibre prometteur, tout en gardant son côté sérieux. Le 2014, aux accents un peu secs, campe sur la réserve et demande encore à s’ouvrir. Mais le 2011 confirme le profil, savoureux et épanoui, qu’on avait déjà apprécié. Nez attrayant, bouche bien dégagée, il lui reste encore de l’avenir. Ces qualités de garde sont vérifiées avec le 1998, premier millésime du château à avoir été accompagné par Stéphane Derenoncourt (lequel conseille toujours la propriété). Malgré une légère déperdition de chair, le vin demeure vigoureux et frais, avec ses notes terreuses et grillées. La trajectoire des derniers millésimes est encourageante, la régularité du vin certaine. A quand le passage en grand cru classé  ?





 

Tous droits réservés © 2016, Michel Mastrojanni (texte et photos)




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