POMEROL
La sagesse du Bon Pasteur
C’était une dégustation attendue. Au printemps de l’année dernière, à Paris, Michel Rolland alignait trente millésimes du Château Bon Pasteur, le Pomerol fétiche de ses possessions bordelaises. Depuis le 2008, on remontait les ans jusqu’au 1978 - à la petite exception du 1991, millésime qui ne vit jamais le jour, victime d’un gel dévastateur. Impression dominante, et légèrement surprenante : avec le recul du temps, son vin acquiert une sagesse d’expression et une patine qui le rapprochent des représentants plus classiques de l’appellation. Cette verticale mémorable, qui couvre quand même trois décennies, écarte un peu l’image du moderniste forcené qui colle à la peau de notre œnologue star. Y retrouverait-on l’essence du berger biblique, dont le domaine tire son nom ?
Le Château Bon Pasteur, c’est le berceau de la famille Rolland. Le point d’ancrage de Michel et Dany Rolland, où s’est fondée l’une de ces modernes aventures dont est friand l’univers du vin. Le lieu de décollage d’où l’"œnologue volant" a déployé ses ailes pour aller répandre son savoir-faire - rondeur girondine en prime - sur les vignobles du monde entier. Presque une parabole sur le thème du bon berger, parti à la recherche de la brebis rédemptrice ...
A la charnière de deux styles
La patte Rolland
Mais d’abord un petit rappel des fondamentaux du domaine. Le Château Bon Pasteur se situe aux confins nord-orientaux de l’aire pomerolienne, à la lisière de Saint-Emilion, au lieu-dit Maillet. La vingtaine de parcelles qui constituent les 6,62 ha du château sont éparpillées. Une petite mosaïque de terroirs, où alternent des sols argilo-graveleux, sablo-graveleux, des graves épaisses, l’ensemble sur un soubassement molassique avec de l’alios. Le merlot, comme presque partout à Pomerol, se taille la part du lion (80 à 85 %), mais le cabernet fait mieux que de la figuration. La vendange est réalisée à maturité optimale. Des sélections parcellaires, affinées au fil des récoltes, livrent au chai une matière première qu’on trie avant et après l’éraflage.
La méthode de vinification obéit bien sûr aux préceptes du couple maître des lieux. Elle s’est précisée à la fin des années 90. Le cycle se déroule d’abord en petites cuves (jusqu’à 70 hl), avec des remontages précautionneux et un temps de macération long. Les fermentations malolactiques sont réalisées en barriques neuves. Depuis 2008, nouveau pas de franchi : la vinification en "grains entiers" démarre directement en barrique. Un pressurage doux permet d’ajouter des jus de presse qualitatifs. L’élevage sous merrains dure de 15 à 18 mois. Les barriques sont renouvelées entre 80 et 100 % chaque année .
Les années majeures
Abordons maintenant les millésimes de la dégustation, tous présentés en magnums. On les rassemble par groupes, en commençant par le peloton de tête, celui des années qui nous ont le plus impressionné. Honneur d’abord au monumental 1990, l’un des empereurs de toute cette séquence. Résultat des premiers éclaircissages pratiqués au domaine, il dégage une majesté naturelle : opulence du corps, fruit mûr magnifiquement évolué, force tranquille encore disponible. Avant lui, à même altitude, le 1982 avec ses beaux arômes truffés, rond et tonique, une noblesse soyeuse enveloppant sa forme encore olympique. Et le 1986, toujours tannique et robuste, dans le genre sérieux du millésime. Après notre millésime pivot, le grand 1995, aux tanins triomphants, d’une envergure impressionnante, véritable monte-à-l’assaut du palais. Et l’indiscutable 1998, robe préservée et festival de fruits secs, finale longue et expressive, d’une force encore conquérante.
Le 1982 en impériale
Le 2000 ne dépare pas son chiffre magique. Noir grenat, doté de tanins imposants mais hyper-mûrs, il conjugue son volume et son fruit vers une résolution charmeuse. Le 2002 se tire avec grâce d’un millésime compliqué. Représentatif de la dernière méthode Rolland, il assure une certaine matière à l’ensemble, frais, délicieux, conclu par une petite finale enjôleuse. Les millésimes qui suivent convainquent moins, même le 2005, sombre, ample, volumique, mais dont la personnalité peine à transpercer.
En faisant un bond de deux décennies en arrière, on retrouve un autre monde. Le 1985 demeure parfaitement sain et harmonieux, avec une belle longueur qui se joue des signes d’évolution. Il contraste avec le 1988, ferme, presque dur, mais sauvé par son bel équilibre. Le 1981 étonne : couleur profonde, attaque toujours franche, étoffe bien conservée. Quant au doyen, le 1978, sous son tuilé, il conserve encore tout le charme des "vieilles dentelles", avec ses notes de rose fanée et son équilibre fragile.
Miracle des petits millésimes
La liste est plutôt longue des bonnes surprises que révèlent des millésimes réputés "petits" ou simplement "moyens". Pour le coup, remontons chronologiquement le temps. Le 1999, déjà légèrement briqué, est finement torréfié. En bouche, il a beaucoup de charme aromatique et une jolie rémanence. Le 1997, en dépit de sa faiblesse structurelle, s’en sort par le fruit et la délicatesse, et l’on s’en régale sans façon. Le 1993 ne déborde pas de chair, mais la petite gangue tannique qui l’enveloppe lui donne du chien. Agréable surprise avec son prédécesseur immédiat, le 1992 : les tanins subsistent mais les contours sont charmants. Et l’on ne doit pas manquer le 1980 : son rouge brique dissimule une tendreté et une séduction encore réelles. Dans toutes ces "années de vigneron", comme on dit, le technicien Rolland a su compenser les caprices d’une météorologie pas toujours aimable pour les vignes. Au Bon Pasteur de continuer à sauver les brebis égarées ...
Tous les millésimes en magnums
Tous droits réservés © 2010, Michel Mastrojanni (texte et photos)