MUSCADET CÔTES DE GRANDLIEU
 

Avec le temps
 

Sans trop faire de bruit, le Muscadet Côtes de Grandlieu, le petit dernier de la famille nantaise, est entré dans sa majorité. L’appellation vient en effet de souffler ses vingt bougies. Avec le recul, elle démontre la maturité de ses vins, et leur capacité à se comporter dans le temps.

 

L’aire d’appellation, au nord, remonte jusqu’aux berges de la Loire. Au sud, elle touche la Vendée, jusqu’à même enjamber la frontière (deux de ses communes n’appartiennent pas à la Loire-Atlantique). Vers l’ouest, la vigne hume déjà les embruns océaniques. Tandis que le cœur du vignoble saupoudre les rives du lac de Grand-Lieu, ce géant périodique, alimenté par les eaux de l’Ognon et de la Boulogne.
 

Des plages plus que des côtes

C’est un lac incertain, aux contours changeants, dont les perspectives se dérobent au regard. L’hiver, au moment des crues, sa superficie augmente considérablement, et il devient alors le plus grand lac naturel de plaine en France. Un discret paradis pour les pêcheurs et pour les oiseaux, qu’on vient guetter à l’observatoire de Passay. Les étendues mouvantes de ce lac caché se découvrent depuis la terrasse de la Maison du Lac à Bouaye. Mieux encore, du haut du clocher de Saint-Lumine, point le plus élevé au-dessus de cette immense zone humide, dont la superficie peut dépasser six mille hectares pendant la période hivernale.
 



Eaux secrètes du lac de Grand-Lieu

 

L’aire du Muscadet Côtes de Grandlieu regroupe dix-neuf communes. Les zones vinicoles les plus fournies sont celles qui bordent le lac, notamment le secteur de Saint-Philbert-de Grand-Lieu et de La Limouzinière au sud, et celui de Bouaye et de Saint-Léger-les-Vignes au nord. Des côtes ? Difficile de prendre le terme au pied de la lettre, tant le paysage semble plat. Tout au plus de molles ondulations, autour de la dépression que forme le lac. On songerait, plus volontiers, à des plages océanes (elles ne sont pas loin) qui auraient été colonisées par des ceps. Les sols se composent surtout de roches métamorphiques et éruptives - gneiss, micaschistes et autres amphibolites. Sur le pourtour du lac, ils sont nappés de sables, de graviers et d’argiles. Une douceur tempérée baigne ces grands espaces, aux cieux régulièrement lavés par le bleu atlantique.

 

Jeunesse …

Comme ailleurs dans le vignoble nantais, le terroir se prête idéalement au melon de Bourgogne - autrement dit le muscadet, cépage bourguignon implanté au XVIIe siècle et devenu plus breton que nature. Sa vinification, traditionnellement, se termine par la mise sur lies : le vin, après fermentation, repose sur ses lies fines, ne subit aucun soutirage, puis est tiré directement au printemps, avec un léger reliquat de gaz carbonique, qui lui donne son perlant. Comme ses pairs du pays nantais, le Muscadet Côtes de Grandlieu en retire son irrésistible fraîcheur, ses arômes mutins, sa souplesse acidulée. Et l’on aime à souligner - c’est tentant, vu la proximité de la mer - sa note iodée, sa pointe saline.
 



Melon de Bourgogne, un cépage précoce

 

Dans ses premières années, le vin cultive ce côté fringant. Le message du fruit est délivré avec plus ou moins de rondeur, de nervosité. Les millésimes récents alignent ainsi leur cortège de nuances. A Legé, le Domaine du Moulin Cassé 2013 dégage de francs arômes, pomme et agrumes, qu’il relaye par une bouche agréablement équilibrée. A Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, chez Dominique Brossard, la Cuvée Prestige 2013 offre les atouts d’un vin rond et plein, déjà bien épanoui. Ce registre se retrouve dans le Domaine Le Grand Fé 2013 (La Limouzinière), souple, charnu, d’une texture caressante. Le Domaine de La Haie Angebaud 2013 (Saint-Philbert-de-Grand-Lieu) est à l’inverse vif et vigoureux, avec du nerf. Le 2012 du même domaine apparaît détendu, tendre, à point pour être bu. Mais le Domaine des Hautes Noëlles 2011 (Saint-Léger-les-Vignes) demeure très sec, et encore un peu fermé.

 

… Et maturité

A l’occasion, le Muscadet Côtes de Grandlieu dévoile un autre profil, selon la durée de son élevage sur lies. Chez certains producteurs, ce délai de mûrissement peut être allongé nettement, et engendrer des vins plus riches et complexes. La méthode concerne, en priorité, les meilleurs millésimes. A Bouaye, au Domaine des Herbauges, Jérôme Choblet multiplie les cuvées, qu’il travaille selon les techniques modernes. Parmi elles, L’Expressionnel 2005 provient de très vieilles vignes (50 à 75 ans), plantées sur un terroir de micaschiste et granite jaune, recouvert de sable à galets. Le vin exhibe une robe fortement dorée, possède une consistance généreuse, une matière enveloppante, aux notes minérales et agrumeuses.
 


 

Toujours à Bouaye, au Domaine du Haut-Bourg, d’autres Choblet - Hervé et Nicolas - exploitent le même type de terroir argilo-siliceux. A partir de leurs vieilles vignes, qui atteignent le demi-siècle, ils isolent une cuvée, Signature du Haut-Boug, laquelle séjourne longuement en cuve souterraine avant la mise (bâtonnage durant la première année). Le 2010, élevé ainsi durant 51 mois, concentre agrumes et fruits blancs dans une bouche ronde et charnue. Le 2009 (39 mois) se révèle chaleureux, solaire, très fruité. Le 2006 (36 mois) dégage une expression douce, une longueur délicieuse. La cuvée Origine du Haut-Bourg est une sélection parcellaire de vignes très âgées (70 ans). Elle aura passé 120 mois en cuve. Le 2002 s’est transformé en délicate dentelle, où se mêlent des arômes floraux, des notes terpéniques et de fruits secs. Le 2000 confirme ce style harmonieux par sa trame onctueuse, son registre floral, avec lequel se conjuguent des nuances plus évoluées, de fumé, d’infusion.

A La Limouzinière, Romain Malidain perpétue la tradition familiale au Domaine Le Demi-Bœuf. Ce nom pittoresque a sa petite histoire : des soldats de l’armée vendéenne, délogés de leur bivouac par les troupes républicaines, auraient abandonné sur place une demie-bête en train de rôtir. Ici, on récolte sur des terres à amphibolites, et on aime à attendre les meilleures cuvées. Le Sensation 2003 (en magnum) rend aujourd’hui le tribut de son millésime caniculaire : nez profus, corps opulent, grande amplitude en bouche. Autre année mémorable, le 1996 demeure dans sa version d’origine. Il arbore la couleur d’un Muscadet juvénile, et distille des arômes mariant le pamplemousse, le citron, la verveine et le fenouil. Sa bouche est droite, rectiligne, d’une franchise déconcertante. L’ensemble démontre une fraîcheur insolente. Dégusté voici une quinzaine d’années, il nous séduisait déjà par sa belle constitution, ses notes de fruits secs et d’angélique. Bref, il rend hommage au travail de Michel Malidain, le père de Romain … tout comme aux capacités des vins de Grandlieu.


 

Tous droits réservés © 2015, Michel Mastrojanni (texte et photos)

 




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