CARNET DE CAVE N°3

 

Où lon parle des vins du Château de Pennautier (Cabardès), du Domaine de la Grange des Pères (Hérault) et de plusieurs rieslings remarquables (Alsace grand cru).

 

L’esprit des lieux

Calme et beauté, c’est dans la félicité des sens que les jours s’écoulent au Château de Pennautier, le joyau disproportionné d’un petit village aux portes de Carcassonne. L’harmonie des lieux fut acquise dès le règne de Louis XIII ; en 1622, le jeune roi fit même étape dans cette imposante demeure, tout juste édifiée par un riche trésorier des Etats du Languedoc. Elle fut parachevée avec l’agrandissement du château, commandée par son fils, Louis-Pierre de Pennautier, au célèbre architecte Le Vau : d’où son aspect très "louis-quatorzième", avec l’interminable façade (100 m de long !) qui lui confère une grandeur peu commune.

 

Une allure très "grand siècle"
 

Le destin de ce "Versailles du Languedoc" est de nos jours dans les mains de son lointain héritier, Nicolas de Lorgeril. Il revient à ce dernier d’avoir donné sa formidable extension au vignoble de la maison : pas moins de 225 hectares pour les vignes du seul château, dont les premiers ceps lèchent le parc ; 320 hectares si l’on compte les autres domaines familiaux, qui brassent la région de Latour-de-France jusqu’à Faugères. Le vin du Château de Pennautier est produit en appellation Cabardès. Il marie cépages méditerranéens et atlantiques, avec des vignes qui escaladent les coteaux jusqu’à 320 m d’altitude. Gage de fraîcheur, celle-ci est revendiquée dans la cuvée Terroirs d’altitude, à dominante de cabernet et de syrah, élevée une dizaine de mois en cuve et en barriques. Dans sa robe noire, le 2008 est friand et charnu, avec un filigrane boisé qui tarde à se fondre. L’Esprit de Pennautier est la cuvée de prestige du château. Issu de vieilles vignes de syrah et d’une forte proportion de cabernet-sauvignon (65 %), ce "grand vin" bénéficie d’un élevage de 12 mois en barriques neuves. Le 2008 campe sur sa réserve, mais sa trame fine et dense laisse entrevoir de belles rondeurs.
 

Dans le salon d’honneur

 

Néanmoins, la cuvée château - vers laquelle on incline - est celle qui résume le mieux l’esprit de la propriété. Elle privilégie la touche océanique (cabernet-sauvignon, cabernet franc, merlot et malbec, à hauteur de 70 %), le reste allant au grenache et à la syrah, et est élevée en cuve. C’est un vin sain, élégant, équilibré, qui offre de surcroît un exemplaire rapport qualité-prix. Le 2009 est plein, gourmand, charnu, d’une sapidité revigorante. Avec sa belle couleur grenat, ses notes mûres et truffées, sa charpente délicate, sa fin de bouche soyeuse et parfumée, le 2008 est largement épanoui. Voilà beaucoup de vertus pour une poignée d’euros - pas plus que les doigts d’une main ... Mesure, équilibre, ce pourrait être des qualités "à la française", à l’image des jardins qui longent les fenêtres du château.

 

A la recherche du riesling perdu

Il est trop fréquent de goûter des vins d’Alsace, théoriquement secs, alourdis par leurs sucres résiduels. Manière de flatter le goût du consommateur, supposé affadi par l’alimentation ... Ce contresens culmine dans le cas du riesling. Le grand cépage rhénan doit précisément sa noblesse à son côté minéral et tranchant. Par bonheur, cette spécificité n’a pas déserté toutes les bouteilles. Elle s’impose même lorsque le vieillissement s’en mêle, avec son cortège de fragrances telluriques, la signature des terroirs. On a croisé quelques-uns de ces rieslings sauvegardés, dans la catégorie Alsace grand cru.
 

 

Figure parmi eux l’Altenberg de Bergbieten 2004 du Domaine Frédéric Mochel. Ample, corpulent, sa minéralité est puissante, accompagnée des fameuses notes pétrolantes que développe notre cépage avec l’âge. Cadeau d’un autre terroir marno-calcaire, le Bruderthal 2001 de Gérard Neumeyer est droit, carré d’épaules. Il respire à plein nez la roche-mère. On retrouve cette robuste complexion dans l’Osterberg 2004 de Louis Sipp, cristallin, complet, d’une minéralité dévastatrice. Dans cette maison qui défend la tradition des vins de garde, le Kirchberg de Ribeauvillé n’est pas en reste : grain serré et grosse charpente pour le 2008, pureté de diamant pour le 1999, qui commence tout juste à se dérider. Au Domaine Agapé, l’Osterberg 2008 tire de la marne originelle son corps dense et massif, tandis que le Rosacker 2008, refermé pour l’heure, est tendu comme une corde. Sucre consommé, forte structure acide, minéralité appuyée, bref le riesling tel qu’en lui-même.


 

Bénéfices engrangés

A feuilleter les petits carnets du Mastroquet, certains noms reviennent avec insistance. C’est le cas du Domaine de la Grange des Pères. Il évoque des dimanches heureux, à recenser les ressources d’une cave amicale, en proche banlieue de Paris, à quelques enjambées de la Poterne des Peupliers. Et plutôt en compagnie d’une entrecôte épaisse comme la main, ou d’un pot-au-feu aux viandes fondantes.

Une touche appuyée de cabernet-sauvignon a valu à la Grange des Pères son statut modeste (vin de pays de l’Hérault) ... simple coquetterie pour un domaine propulsé depuis aux sommets de la starisation languedocienne. En revanche, son prix reste déraisonnable, pas du tout dans la retenue tarifaire qu’on tente de prôner ici. Demeure l’intérêt des cuvées qu’accouche, saison après saison, le discret Laurent Vaillé - c’est l’essentiel.

 

 

A tourner les pages, le petit tableau rétrospectif ne manque pas d’allure (on ne parle ici que du rouge). Couleur et bouquet généreusement épicé, chair et trame serrée, le 2005 l’emporte par sa puissante fraîcheur, toujours gage d’avenir. Le 2004 oscille entre fruits mûrs et notes fumées, révèle un énorme fruit et beaucoup de gras - richesse compensée par un équilibre parfait, la botte secrète de la Grange des Pères. Cuir et épices, hyper-maturité, opulence, sensations capiteuses, le 2003 n’échappe pas à l’excès du millésime, mais le tour de main du vigneron a su redresser la barre, en sauvegardant le côté frais du vin. Par contraste, le 2002 semble strict, mesuré, presque réservé. L’exact contraire du 2000, tout en douceurs et rondeurs, avec une charge alcoolique qui exhausse fortement ses arômes méridionaux. Le 1999 justifie à lui seul de revisiter le siècle écoulé : c’est un vin monumental, complet, dense et profond. On a beau tourner et retourner les pages, manque décidément le 2001*.

* Post scriptum. Depuis, la lacune de ce millésime fameux a été délicieusement comblée - avec la compagnie d’un dodu poulet fermier. Conjuguant mûre, cuir, vieille prune et fines épices, le 2001 est droit, puissant, entier, dominé par une fraîcheur indomptable. Il affirme la plénitude de ses dix ans, sans doute l’âge idéal pour goûter les meilleures bouteilles de la propriété.

 

Tous droits réservés © 2011, Michel Mastrojanni (texte et photos)
 

 



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