CARNET DE CAVE N°11

 

Où lon parle des vins du Domaine Piétri-Géraud (Collioure), du Domaine Les Loges de la Folie (Montlouis) et du Domaine Breuil de Segonzac (Charente).

 

La mer aux pieds

De Collioure jusqu’à Cerbère, le vignoble enfonce son coin entre montagne et mer. Tandis que le massif des Albères s’écroule brutalement dans la Grande Bleue, des myriades de ceps, s’accrochant à ses rudes déclivités, montent à l’assaut des crêtes. Le schiste est partout, emmagasinant goulûment la chaleur des étés. Les roches du cambrien et du précambrien colorent le sol de tons brun-violet. Cet âpre paysage a été patiemment sculpté par la main du vigneron. Des milliers de murets de pierre hachurent les pentes, pour retenir la terre. Striant les coteaux, les pieds de coq - ces rigoles qui canalisent l’eau que déversent les orages - dessinent une géométrie aztèque. Et où que l’on regarde, la Méditerranée allume ses échancrures indigo, zébrées de vagues métalliques les jours de tramontane. La lumière et les odeurs de la Catalogne font le reste.
 



La vigne dévalant les pentes du fort Saint-Elme, entre Collioure et Port-Vendres
 

Voilà pour le décor, grandiose, dont on ne se lasse jamais. Dans le verre, on a retenu cette fois le Collioure rouge du Domaine Piétri-Géraud, aux vins toujours élégants et réguliers. La cave est installée au cœur du vieux Collioure, avec ses bonbonnes de vin doux naturel discrètement offertes au soleil, sur la terrasse. Maguy Piétri et sa fille Laetitia y choient les récoltes obtenues de la quinzaine d’hectares qu’elles exploitent sur les terrasses environnantes. Quelques-unes de leurs vignes atteignent le siècle. Les rouges sont élevés en cuves durant onze mois. Le Sine Nomine est la cuvée la plus représentative du domaine. C’est un assemblage de grenache, syrah, mourvèdre et carignan, le premier étant nettement majoritaire. Le 2012 s’habille de rubis sombre, son nez respire la cerise noire et le laurier. Sa bouche est charnue, soyeuse, matelassée par des tanins réglissés. Le vin séduit par sa chatoyance et son gracieux équilibre - attaque fondante, milieu de bouche plein et chaleureux, finale persistante. Voilà le compagnon rêvé d’un tajine d’agneau, d’une pastilla de pigeon ou, pourquoi pas, de petits rougets grillés.
 


 

Le Moulin de la Cortine est une cuvée plus dense, issue d’une macération prolongée, et provenant d’une vigne magnifiquement exposée (sud-est), non loin du petit moulin restauré qui domine Port d’Avall. Elle donne la primauté au mourvèdre (40%), cépage qui ne réussit jamais mieux que lorsqu’il voit la mer. Le solde est réparti équitablement entre le grenache et la syrah. Le 2011 restitue bien la matière puisée dans les schistes profonds de la parcelle. Robe pourpre foncé, nez de fruits noirs (mûre, bigarreau), pimenté par une pointe d’épices et de purée d’olives, c’est un vin concentré, à la bouche nerveuse, au fruit intense et généreux. La finale, fondue et parfumée, harmonise l’ensemble. Ce Collioure énergique, encore très frais, semble avoir été créé pour escorter le civet de sanglier (à la catalane bien sûr).
 

 


 

Folie douce

A Montlouis ce fut, voici dix ans, une installation des plus prometteuses. Valérye Mordelet et Jean-Daniel Kloecklé créaient leur Domaine Les Loges de la Folie. Clin d’oeil inattendu à Erasme et son Eloge de la Folie, mais l’on sait les vignerons d’aujourd’hui affamés de calembours. Ils avaient accroché leur enseigne à Husseau et dorlotaient leurs sept hectares de vigne, voués pour l’essentiel aux caprices du chenin. D’emblée, ils avaient adopté les règles de la viticulture biologique.

Cuvée vedette du domaine, leur Nef des Fous provenait des meilleures parcelles et des plus vieilles vignes. Elle était vinifiée en fûts, puis élevée en douceur, nourrie de ses lies fines. Sa teneur en sucre pouvait varier au fil des récoltes. Arborant un beau jaune doré, le sec 2011 respirait le fruit mûr, pamplemousse et abricot. Sa bouche était étoffée, bien pleine, des notes de fruits blancs enjolivaient l’ensemble, riche et charnel. Naguère, on avait apprécié le sec 2007, plus strict, plus minéral, doté d’une belle réserve. On s’apprêtait donc à goûter les nouveaux millésimes de cette cuvée … quand on apprit que le duo mettait la clé sous la porte, après deux récoltes catastrophiques.
 

Le petit personnage de l’étiquette, perché au bord du vide, a-t-il été rattrapé par son fol destin ? Comme celle des hommes, la vie des exploitations viticoles n’est pas un long fleuve tranquille, et les maléfices de la nature sont capables d’en venir à bout. L’épitaphe semble un peu courte ? En bonus, on se remémore le Chemin des Loges demi-sec 2005, rayonnant d’équilibre, et le Sucre d’Ange liquoreux 2005, ruisselant de suavité. Et l’on se console en sachant que l’appellation recèle d’autres producteurs recommandables (voir sandre et Montlouis, dans notre rubrique Table ouverte).


 

Variation charentaise

Le Domaine Breuil de Segonzac se situe sur un hameau de la commune du même nom, en pleine Grande Champagne. Sur 57 hectares de vigne, Patrick Brillet pratique avec conviction une agriculture biologique dûment certifiée, qui fait de sa propriété la plus importante du genre en Poitou-Charentes. Le domaine produit bien sûr les belles eaux-de-vie du cru, anoblies par leur appartenance au premier cercle du Cognac. Il se signale aussi par son excellent vin de pays de Charente, auquel un dixième du vignoble est exclusivement consacré. Ces vignes ont été plantées en 1998, sur les pentes argilo-calcaires de Saint-Simeux, dans un lieu panoramique largement ouvert sur la vallée, qui ressemble un peu à la côte bourguignonne.
 

Maison de charme et vin assorti
 

Empruntant son nom au lieu-dit d’origine, le Plantier de Chipre 2009 repose sur un assemblage de cabernet franc (60%) et de merlot (40%). Sa robe est grenat sombre, son nez embaume le cassis et la confiture de mûre. Son attaque est vive, sa matière consistante mais savoureuse, sa texture finement veloutée. Bien tenu par l’acidité, l’ensemble fait preuve d’une fraîcheur étonnante, qui semble acquise pour plusieurs années. L’autre cuvée rouge du domaine est destinée à une évolution plus rapide. Cette Vigne Sansi, qui n’est pas millésimée, accorde une part équivalente aux deux cépages. La rondeur et les arômes du merlot l’emportent néanmoins, même si le vin résiste parfois bien au temps. La cuvée 2006, récemment encore, témoignait d’un fruit épanoui et d’une très agréable substance. Celle de 2010 révèle un vin souple et friand, avec ses notes de fraise et de groseille, tout juste trahies par une pointe de café naissante.
 

Tous droits réservés © 2014, Michel Mastrojanni (texte et photos)
 




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