JURA

Poulsard : annoncez la couleur
 

Cest sans doute le plus rosé des rouges de France, à moins qu’il ne soit le plus rouge des rosés. Même les vignerons jurassiens hésitent à qualifier sa couleur. Pour désigner le vin de poulsard, ils recourent parfois à des épithètes pigmentés. Notre langue, heureusement, n’en est pas avare.
 

Produit surtout dans l’Arboisien, ce vin de l’entre-deux est généralement vinifié en rouge, mais à partir dun cépage peu colorant, le poulsard. Ce dernier est aussi appelé ploussard, car son nom dérive de plousse (la prunelle). Evoqué dès le XIVe siècle, il occupe, aujourd’hui encore, un septième du vignoble jurassien.
 

Un enfant délicat

Ce cépage est un original. On le reconnaît à ses gros grains de forme oblongue, légèrement violacés, et à ses feuilles très dentelées. La peau des baies est mince, donc pauvre en matière teinturière, mais son jus est abondant - doù la couleur claire du vin. Cette complexion le rend délicat, et les vignerons du cru se font souvent des cheveux avec ce raisin fragile, sensible à la coulure, qui réagit aux froids printaniers comme aux grosses chaleurs. On le récolte toujours le premier. En échange, la finesse est volontiers au rendez-vous.


Le Domaine du Sorbief, à cheval sur Arbois et Pupillin


Généralement, la cuvaison du poulsard est précédée d’une préfermentation à basse température. Les vins destinés à être embouteillés précocement, pour leur fraîcheur et leur fruit, séjournent quelques mois en cuve. Ceux vinifiés en vue d’une certaine garde sont élevés en foudres de gros volume, jusqu’à une année entière. Plus rarement, la vinification est effectuée en rosé, par pressurage direct. Le poulsard dispose d’une agréable palette aromatique : petits fruits rouges tout frais cueillis, fraise, framboise, groseille, cassis ou griotte, fines odeurs de sous-bois. Sa bouche est souple, animée d’un fruité joyeux. Cette douceur est parfois agacée par une petite astringence, qui rappelle la prunelle picorée dans les buissons. On sert le vin légèrement frais, à température de cave.


Entre rouge et rosé

Mais c’est sa robe qui signe le plus l’ambivalence du poulsard. La couleur de ce caméléon varie du rose saumon au rubis franc, avec toutes les nuances intermédiaires, avant d’évoluer vers une teinte pelure doignon. Voilà pourquoi les vignerons jurassiens avaient trouvé un joli mot pour qualifier cet éventail chromatique, en parlant du vin corail. Le terme est tombé en désuétude, c’est dommage. Restent les tenants du rouge, les partisans du rosé, et puis ceux qui continuent de filer la métaphore : le Domaine Martin-Faudot, pour désigner son poulsard, emploie le mot tuilé, la Fruitière de Voiteur qualifie le sien de rubis
 

A Pupillin le bon …


Retournons au vin dans la cave, où notre rouge-rosé peut se révéler endurant. Avec l’âge, son bouquet accueille les épices, l’humus, la réglisse, le moka, sa matière s’attendrit encore. On le sert alors légèrement chambré, pour mieux apprécier sa délicatesse. Cette juvénilité assagie peut persister longtemps. Dans la région d’Arbois, on débouche parfois une bouteille de 1964 ou de 1959, en se régalant dun vin subtil, dont les reflets de tourmaline tournoient dans le verre. On pense à certains vieux pinots de la Côte-d’Or, d’apparence fragile, de couleur transparente, presque chétifs, mais increvables en dépit des décennies.


Au royaume du poulsard

A l’occasion, le poulsard est assemblé avec le trousseau et le pinot noir, les deux autres cépages rouges du Jura. Un vieil usage se perpétue même dans lancienne vigne de Pasteur. Le grand homme dArbois, pour ses expériences, avait en effet acquis des rangs de ceps au lieu-dit Rosières, à la sortie de la ville. Cette parcelle historique est de nos jours entretenue par les Domaines Henri Maire. Son vin - le Clos de Rosières - est un assemblage de toute la vigne : poulsard, trousseau, pinot noir, mais aussi cépages blancs du Jura, savagnin et melon dArbois (nom local du chardonnay).
 

La côte de la Feule
 

Mais le poulsard possède son royaume à quelques kilomètres de là. Arbois le nom, à Pupillin le bon", disait-on dans la région. Ce dicton malicieux souligne la réputation du cépage à Pupillin, pittoresque village perché au-dessus de la plaine du Jura. Le poulsard affectionne les terrains du trias de la commune, des marnes rouges et bleues, spécialement celles de la côte de la Feule. Un lieu magnifique, dont les vignes dévalent majestueusement vers la plaine, sous le belvédère du village. Les vins du cru ont droit depuis 1970 à leur dénomination propre (Arbois Pupillin) et le poulsard s’y trouve en bonne place.


Sur la piste des faux rouges

En appellation Côtes du Jura, le Domaine Grand, à Passenans, fournit une bonne illustration du poulsard. Le 2010, discrètement tuilé, offre un rafraîchissant cocktail de petits fruits rouges, où domine la groseille. Sa bouche est tendre et légère, fruitée sur la finale, assortie d’une touche de sous-bois. Celui de la Fruitière vinicole de Voiteur résulte d’une cuvaison de quelques jours - même si, sur l’étiquette, le vin se targue d’être rosé (en précisant toutefois rubis). D’un ton pastel, qui tire légèrement sur la brique, le 2009 sent le noyau de cerise. Sa bouche est aimable et fluide, marquant déjà une pointe d’évolution. Voilà un poulsard traditionnel, au meilleur sens du terme.


Le Domaine Désiré Petit trône en haut du village de Pupillin, à quelques enjambées de la côte de la Feule. Le "ploussard", comme on l’appelle ici, défend les couleurs de l’Arbois Pupillin. Il subit une macération pelliculaire d’une dizaine de jours, puis est élevé en foudres près d’un an. Le 2009 glisse un peu de feuille morte dans sa robe écarlate. Il fleure la framboise et la groseille, et s’enrobe d’un velours délicat. La bouche, chaleureuse, se prolonge sur une finale noyautée, avec rappel de sous-bois.

Le Domaine de la Pinte est un classique de l’appellation Arbois. Ses vignes sont aujourd’hui cultivées en biodynamie, avec de faibles rendements. Issu de marnes rouges, le poulsard 2010 est vêtu d’un rubis vif. Son bouquet est très framboisé, sa bouche soyeuse et pleine. C’est un vin svelte et sain, avec une forte dynamique de petits fruits rouges. Changement d’atmosphère avec le 2009, à la robe nettement mordorée. Son nez embaume la cerise à l’eau-de-vie, avec une petite note animale. Sa bouche est chaude, spiritueuse, et sa finale kirschée révèle la chaleur du millésime.


Rosé d’été, rouge d’automne

Les vins du Domaine Rolet font référence sur Arbois. Le poulsard est récolté sur des marnes rouges, aux lieux-dits Chagnon et Gaillard, à Montigny-lès-Arsures. Vinifié avec une macération préfermentaire à froid, il passe une année en cuves. Le Vieilles Vignes 2009, rouge vermeil, a des arômes de bigarreau et de fraise. De sa bouche, ronde, pleine, finement veloutée, jaillit tout un panier de fruits rouges. Intensité aromatique, grande netteté, générosité du millésime, voici un vin complet.
 



Eliane Rolet (Domaine Rolet) et Pascal Clairet (Domaine de la Tournelle)
 

Pascal Clairet, du Domaine de la Tournelle, incarne à Arbois le volet des vins "nature". Chez lui, la cuvée de poulsard s’intitule L’uva - de l’antique uva arbosiana, comme était répertorié ce cépage au XVIe siècle. Le sien est vinifié en macération carbonique, sans soufre ni filtration. Le 2010 exhibe un teint de cerise montmorency, mais trahit un léger trouble gazeux. Son nez est floral, sa bouche fruitée-acidulée, très rafraîchissante. Ce vin désaltérant sera parfait pour les buffets de plein air.

Autre pilier arboisien, le Domaine Jacques Tissot tire son poulsard d’une parcelle située à Pupillin, au lieu-dit La Ronde. Macération à basse température, élevage de quelques mois en foudres. La Ronde 2007 affiche une robe déjà patinée, rouge orangé, et respire la fraise des bois. Sa trame est délicate, le parfum de fraise s’attarde. C’est un vin tendre, aérien, exprimant le poulsard à maturité. Les Tissot élaborent également un vrai rosé, en pressurant directement le raisin, après quelques heures de repos dans la cage du pressoir. Leur Rosé Découverte 2010 est saumon pâle, un peu à la manière de nos modernes rosés de Provence. Il fleure la pêche, le pamplemousse, la fraise acidulée. Bon retour fruité, bouche incisive, bref le vin d’été idéal. Six à huit euros la bouteille (départ cave), c’est ce qu’il faut compter en moyenne pour tous ces flacons : le poulsard n’est pas le vin le plus dispendieux de France.



A table le poulsard !

Le poulsard est un compagnon facile. Rosé, il escorte volontiers le poisson : côté eau douce, une belle truite au bleu, côté mer, des petits rougets simplement grillés. Il accompagne également la quiche lorraine et les tartes salées. Rouge, il ne redoute pas les goûts puissants. Mariage particulièrement recommandé avec les charcuteries fumées du Jura - notamment le jésus de Morteau, grand frère (entre la livre et le kilo) de la célèbre saucisse fumée du Haut-Doubs. A Pupillin, Pierre Overnoy cuisine de mémorables saucisses vigneronnes : dans la cocotte, il les pose sur un fond de sarments, les noie dans le poulsard, les recouvre dune couche de pommes de terre et fait longuement mijoter le tout.

   Avec une saucisse de Morteau

Dans lomelette à larboisienne, les œufs sont battus avec des rognons de veau émincés, des lardons, des échalotes hachées, quelques feuilles destragon. Régal assuré avec le poulsard, malgré la prétendue difficulté de marier lœuf et le vin. Des œufs en meurette font aussi l’affaire. Les poires au vin enfin, un grand classique : les arômes de notre cépage sajustent avec précision à la cannelle de la recette. Pour ce dessert de grand-mère, les puristes recommandent les poires Curé ou Petite Montagne.



Tous droits réservés © 2011, Michel Mastrojanni (texte et photos)


 




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