Vins d’Alsace



Avec ses villages de rêve qui sont autant de musées à ciel ouvert, le souriant vignoble d’Alsace sait enchanter le promeneur-dégustateur. Son ondoyante "route du vin" court sur fond de montagne bleutée, piquée de ruines moyenâgeuses. Elle l’entraîne du village de Marlenheim, au nord, jusqu’à la petite cité de Thann, au sud - sans oublier l’îlot viticole de Wissembourg, à l’extrême nord du Bas-Rhin. Difficile de ne pas succomber au charme de ce ruban de vignes, entretenu comme un jardin, et au climat chaleureux des winstubs, qui la jalonnent d’un bout à l’autre. Le vignoble (16 000 hectares) s’adosse au flanc oriental des Vosges, barrière efficace contre les masses d’air océaniques, et regarde droit le levant. Ses légions de ceps montent à l’assaut des collines sous-vosgiennes, dont les versants les plus escarpés forment les meilleures situations. Le vigneron alsacien aime à cultiver son particularisme. Il joue encore la carte des cépages, fruit de l’héritage germanique, même si la notion de terroir s’impose aujourd’hui, à travers crus et lieux-dits.




Le village de Rodern (Haut-Rhin)

Alsace. L’appellation régionale concerne une écrasante majorité de vins blancs secs et une petite minorité de vins rouges et rosés. Récoltés sur une grosse centaine de communes viticoles du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, ceux-ci ont la singularité d’afficher d’abord le nom de leur cépage. On recense sept cépages principaux, qui typent fortement les vins. Les quatre premiers sont considérés comme les "cépages nobles" alsaciens.

Riesling. Blanc sec de teinte pâle, au nez minéral et végétal, à la bouche tranchante, viril, nerveux et fin. C’est un vin racé, qui vieillit en beauté, en prenant des notes caractéristiques de "pétrole". Il est issu du cépage roi des pays rhénans.

Gewurztraminer. Blanc sec à légèrement moelleux, de couleur intense (jaune citron à jaune doré), corsé, volontiers capiteux, offrant surtout des arômes exubérants (rose, violette, litchi, épices). C’est un vin formidablement expressif, capable de vieillir avec éclat. Il est issu d’une variété épicée de l’ancien traminer alsacien.

Pinot gris. Blanc sec à légèrement moelleux, de couleur soutenue, odorant (note fumée), rond et corpulent. Il est de bonne garde et, c’est à souligner pour un vin blanc, fait bon ménage avec les plats de viande. C’est l’ancien tokay d’Alsace, qui n’avait bien sûr aucun lien avec son homonyme hongrois.

Muscat. Blanc sec plutôt léger, merveilleusement aromatique avec ses nuances fruitées et fleuries. Son style croquant le révèle dans sa prime jeunesse mais il peut évoluer avec grâce, sur des notes de menthe et de jasmin. Il recouvre en réalité deux variétés de raisin : le muscat ottonel et le muscat à petit grains, plus tardif, dénommé aussi muscat d’Alsace.

Pinot blanc. Blanc sec de couleur moyenne, souple et frais, qu’on appelait autrefois klevner. Son fruité aimable le rend précoce à consommer. Il est issu du pinot blanc vrai et d’une variété voisine, l’auxerrois, dont le nom peut se substituer au sien sur l’étiquette.
 



Alsace éternelle : enseigne à Mittelbergheim et maison vigneronne à Marlenheim
 

Sylvaner. Blanc sec de couleur très pâle, faiblement aromatique, vif et coulant, légèrement perlant à l‘occasion. C’est un vin de soif, à boire jeune. Sur certains terroirs, comme à Mittelbergheim ou Barr, il peut donner des vins de classe.

Pinot noir. Rosé ou rouge de couleur modérée, peu tannique, avec une note dominante de cerise. Ce type traditionnel du rouge alsacien, léger et fruité, est concurrencé par des vins de style moderne, élevés en fûts, plus colorés et charpentés.

Sous l’appellation Alsace sont encore produits d’autres vins : le Chasselas, un blanc charmant et rafraîchissant, très répandu autrefois, sous le nom de gutedel ; le Klevener de Heiligenstein, un blanc délicat issu du savagnin rose (qui a reconquis son berceau alsacien, le village bas-rhinois de Heiligenstein). Autre ressuscité, le Gentil résulte d’un assemblage d’au moins une moitié de cépages nobles (à l’origine, il était vinifié à partir des plants mélangés d’une même parcelle). Quant à l’Edelzwicker, il marie des cépages divers et donne ces agréables carafes qu’on vide facilement sur place.

Crémant d’Alsace. Blanc effervescent issu majoritairement du pinot blanc. Il est plus rarement rosé (pinot noir). Elaboré selon la méthode champenoise, c’est idéalement un crémant aromatique, vif, parfait en apéritif.

Alsace grand cru. Cette appellation désigne l’élite des vins alsaciens, issus de lieux-dits aux qualités vinicoles remarquables et anciennement reconnues. C’est un peu la revanche du terroir contre le cépage. Les grands crus d’Alsace sont à ce jour cinquante-et-un. La palette de leurs terroirs reflète toute la diversité géologique de la région. Chaque type de sol imprime sa marque. Les terroirs granitiques et sablonneux soulignent le caractère aromatique des vins, les terroirs gréseux et calcaires plutôt leur acidité naturelle. Les terroirs marno-calcaires, traversés éventuellement de veines gypseuses, comme les terroirs argilo-marneux renforcent leur puissance et leur potentiel de garde. Moins courants, les terroirs schisteux et volcaniques appuient leur minéralité. Mais la marqueterie alsacienne est telle qu’elle induit beaucoup de nuances. L’encépagement est restreint : seuls les quatre cépages nobles sont admis (à l’exception du sylvaner, autorisé dans le Zotzenberg et l’Altenberg de Bergheim). Dans ce dernier cru, ainsi que dans le Kaefferkopf, l’assemblage est possible. S’ajoutent des contraintes de production plus exigeantes que pour l‘appellation régionale.
 



Le grand cru Rangen à Thann 
 

Vendanges tardives et sélection de grains nobles. Ces deux mentions peuvent compléter les appellations Alsace ou Alsace grand cru. Ce sont des vins dont les raisins ont été récoltés en surmaturité, d’où leur taux important de sucre résiduel. Ne sont concernés que le riesling, le gewurztraminer, le pinot gris et le muscat. Les vins de vendanges tardives doivent leur moelleux (d’intensité variable) au phénomène de concentration du sucre dans les baies, voire à un début de pourriture noble sur les grappes, et à l’équilibre sucre-alcool recherché en fin de fermentation. Ceux de sélection de grains nobles résultent d’une vendange franchement botrytisée (atteinte par la pourriture noble). Dans les deux cas, à des degrés divers, ces vins complexes conjuguent la puissance, la suavité et l’opulence aromatique, en démultipliant l’expression du cépage.
 


Quelques hauts lieux du vignoble

Wissembourg. Aux portes du vignoble de Cleebourg, l’adorable cité frontalière de Wissembourg mérite une longue flânerie à travers ses rues et ruelles, ou le long des quais bordant la Lauter. La vieille Alsace, immortalisée par Hansi, transpire dans le faubourg de Bitche et dans les maisons cossues du quai Anselman. Quant à Saint-Pierre-et-Saint-Paul (XIIIe siècle), majestueux vaisseau de grès rose qui étend son ombre sur la ville, c’est la plus grande église gothique de la province, après bien sûr la cathédrale de Strasbourg.

Ottrott. Au pied du mont Sainte-Odile, les ruines des châteaux de Lutzelbourg et de Rathsamhausen - celui-ci reconnaissable à ses deux donjons, l’un rond, l’autre carré - surveillent la charmante localité d’Ottrott, bien connue des gastronomes strasbourgeois. Ici, le vignoble est depuis longtemps voué au pinot noir, qui donne, sous le nom de rouge d’Ottrott, un vin rubis et parfumé, qu’on boit jeune. Les étiquettes de vin aiment à figurer Odile, la sainte abbesse patronne des lieux.
 

   

Andlau et ses crus

Andlau. Ce bourg pittoresque est blotti à l’entrée d’un vallon, creusé par le fougueux torrent vosgien qui lui a donné son nom. Il est magnifié par l’abbatiale romane dédiée à sainte Richarde, sa fondatrice. Epouse répudiée de Charles le Gros, cette dernière aurait, selon la légende, bâti le monastère à l’endroit indiqué par une ourse. Un saisissant bestiaire médiéval orne le portail sculpté et la frise extérieure. Mais Andlau est aussi célèbre pour ses vins, et son trio de grands crus, Kastelberg et Wiebelsberg en tête, dont les pentes surplombent hardiment le village.

Barr. La Folie Marco, belle gentilhommière édifiée en 1763 par le bailli Louis Félix Marco, s’élève à l’entrée de Barr, agrémentée d’un vignoble aujourd’hui enclavé dans la petite cité. Léguée à la ville par ses derniers propriétaires, elle est devenue un musée, abritant mobilier alsacien, collections de faïences, porcelaines et étains, et précieux rayon d’alsatique. Quant au vieux clos de vigne, sous la fontaine du Gaensbroennel, il est exploité par le Domaine Hering et produit notamment un remarquable Sylvaner, fin et minéral. Le tout sous les pentes majestueuses du grand cru Kirchberg, dédié surtout au riesling.

Scherwiller. Comme beaucoup d’autres villages de la plaine de Sélestat, Scherwiller est dominé par les formes fantasmagoriques de la montagne vosgienne et de ses châteaux-forts. L’impressionnante forteresse d’Ortenbourg fut édifiée au XIIIe siècle par Rodolphe de Habsbourg et son bel état de conservation permet d’imaginer la puissance de cet ouvrage militaire. En écho, lui répond la tour fortifiée de Ramstein, coiffant un autre sommet forestier.
 

  

Les forteresses de Scherwiller

Haut-Koenigsbourg. A flanc de montagne, les châteaux succèdent aux châteaux. Celui du Haut-Koenigsbourg est un véritable nid d’aigle, scrutant la plaine d’Alsace à près de 800 m d’altitude. Détruit par les troupes suédoises lors de la guerre de Trente Ans, il fut rebâti, à partir de 1900, selon les voeux de l’empereur Guillaume II. Ce burg colossal, tout de rouge vêtu grâce à la pierre des Vosges, est une étonnante reconstitution moyenâgeuse. Il ne manque ni d’allure, ni d’attraits pour la foule des visiteurs, toujours impressionnés par la salle d’armes, les énormes poêles en faïence ou les meubles "gothiques" qu’abrite cette gigantesque pâtisserie néo-féodale.

Hunawihr. Pour qui parcourt la route entre Ribeauvillé et Riquewihr, le regard ne peut échapper à sa petite église fortifiée, juchée sur un tertre au milieu des vignes. C’est un émouvant témoignage de l’art militaro-religieux des XIVe et XVe siècles. Avec son clocher trapu rappelant un donjon, elle est flanquée d’une enceinte hexagonale que renforcent six bastions. Alentour s’étend le vignoble communal, dont le fameux Clos Sainte-Hune, monopole de la maison Trimbach, sur le ban du grand cru Rosacker.

Riquewihr. C’est l’incontournable village d’Alsace, visité d’un bout à l’autre de l’année, mais dont le charme ne parvient pas à s’épuiser. Riquewihr s’entoura de remparts à la fin du XIIIe siècle, en devenant commune franche, et édifia sa tour-beffroi, le Dolder, à la même époque. Bâti au pied du grand cru Schoenenbourg, ce village-musée recèle une collection unique de maisons des XVIe et XVIIe siècles, sa grande période de prospérité viticole, lorsqu’il était sous la suzeraineté des comtes de Wurtemberg. La culture vigneronne n’a pas faibli. Au gré des joyaux Renaissance qui surgissent à chaque détour de rue, fleurissent des enseignes de producteurs, certaines dessinées par Hansi - comme celle de la vénérable maison Hugel, dont la minuscule boutique regorge de ces fabuleuses "vendanges tardives" dont elle fut pionnière il y a un siècle.

Kientzheim. Le vieux château de Schwendi abrite le Musée du Vignoble alsacien, où sont conservées d’intéressantes collections d’outils vignerons et de verrerie ancienne. C’est dans ses murs que se réunit la Confrérie Saint-Etienne, l’une des plus anciennes de France, puisque son origine remonte au XIVe siècle. Outre les chapitres, où ses grands conseillers officient en manteau écarlate et chapeau noir, la confrérie organise chaque année la fameuse sélection des vins sigillés d’Alsace. Elle possède dans les caves du château, qui lui appartient, une formidable oenothèque où figurent tous les vins primés depuis la dernière guerre. Au-dessus du village, surveillent les ceps des grands crus Schlossberg et Furstentum.
 

  

L'oenothèque de Kientzheim et les trois châteaux de Husseren

Husseren-les-Châteaux. Ils se nomment Dagsbourg, Wahlenbourg et Weckmund, et leurs donjons s’érigent en un spectaculaire trio, sur un sommet au-dessus du vignoble. Ils appartinrent successivement aux comtes d’Eguisheim, à l’évêque de Strasbourg, aux seigneurs de Hattstatt, enfin à ceux de Schauenbourg, et leur apparition, si évocatrice, persiste longuement dans l’oeil du promeneur de la route du vin. A leurs pieds, le village-balcon de Husseren et la singulière cité d’Eguisheim, avec son plan en rues circulaires.

Guebwiller. Petite ville au débouché de la Lauch, Guebwiller s’étire au pied d’une montagne dont les versants abrupts, défrichés et aménagés en gradins depuis des siècles, constituent aujourd’hui des grands crus réputés : le Kitterlé, le Kessler et le Spiegel, auxquels s’ajoute le Saering, sur un coteau avancé. Le Domaine Schlumberger, fondé en 1810, s’y taille la part du lion puisqu’il possède 70 hectares dans ces quatre crus - et même le monopole des deux premiers. Il dispose en tout de 140 hectares de vignes, ce qui en fait la plus grosse propriété viticole d’Alsace. Son personnel entretient à longueur d’année les 50 km de murets en pierre sèche qui retiennent le terroir de sable gréseux, et les labours se font encore avec des chevaux de trait. En haut du Kitterlé, une "vigne archéologique" retrace les différents modes de conduite et de taille.



Tous droits réservés © 2010, Michel Mastrojanni (texte et photos)

 




Créer un site
Créer un site