CARNET DE CAVE N°4
Où l’on parle des vins du Domaine de la Charmoise (Loir-et-Cher), du Domaine des Huards (Cour-Cheverny), du Domaine Chandon de Briailles (Corton), du Château Villerambert-Moureau (Minervois) et du Château Cascadais (Corbières).
Le romorantin, quel roman !
Cela a été une petite résurrection, le temps d’une décennie. En 1998, Henry Marionnet (Domaine de la Charmoise) avait acheté 4 hectares de vigne, dans lesquels était enchâssée une très vieille parcelle de romorantin. Son examen approfondi révéla que les pieds, préphylloxériques, remontaient aux alentours de 1850 et n’avaient jamais été greffés ; les sables de Sologne les avaient protégés du mortel puceron. Ce cépage blanc n’est pas un inconnu sur les bords de Loire. A quelques kilomètres de Soings, on le trouve dans l’appellation Cour-Cheverny. Son origine est même datée : 1519, année où le roi François Ier fit transporter 80 000 marcottes de vigne de Bourgogne jusqu’à son château de Romorantin. Le plant diffusa ensuite localement, sous ce nouveau nom.
De ses 36 ares de ceps vénérables, Henry Marionnet tira une cuvée qu’il baptisa Provignage : référence à la technique ancienne de reproduction de la vigne, qui consiste à rabattre et enterrer des sarments, pour que se développent de nouvelles racines. Cette curiosité révéla un vin magnifique (classé pour raison réglementaire en simple vin de pays du Loir-et-Cher), avec l’incomparable prégnance gustative que procurent les vignes non greffées. En 2007, en lisière de leur parcelle historique, le maître tourangeau et son fils Jean-Sébastien eurent l’idée de replanter une autre pièce de romorantin, "franche de pied" également, en la prélevant sur l’ancienne. La troisième feuille venue, ils ont rentré leur première vendange, en l’intitulant La Pucelle de Romorantin. D’où cette comparaison possible du vin de la vigne-mère, déjà rescapée d’un lacis ampélographique compliqué, avec son rejeton direct.
Honneur à l’aïeul. Sous sa robe pâle, le Provignage 2010 est un vin tendu, acéré, à l’acidité tranchante et dominatrice. Sa compacité, sa minéralité citronnée dégagent une pureté tout à fait singulière, une finesse éclatante. Le 2006 (en magnum) apparaît détendu par les quelques années passées sous verre. Des notes zestées couronnent un corps déjà épanoui, rond et frais à la fois, mais dont l’épine dorsale demeure vive. L’équilibre du vin tempère ses accents incisifs, un trait de citron souligne une jeunesse encore confondante. Pour de longues années encore … La Pucelle de Romorantin 2010 déploie toute la fringance de sa jeune lignée : explosion de fruit, saveur gourmande, belle structure acide néanmoins, héritée de son aîné. C’est plaisant et prometteur en diable.
Cinq à six ans, c’est donc le bel âge pour commencer à se régaler du romorantin. On ne résiste pas au plaisir d’en déboucher un autre, arrivé à maturité. Pour le coup, ce sera celui du Domaine des Huards, où Michel Gendrier est depuis longtemps un ardent défenseur du cépage. Le domaine recèle encore une parcelle de romorantin plantée en 1922. Habillé de jaune-vert pâle, le Cour-Cheverny 2005 dégage un bouquet délicieux, fruits blancs très mûrs, noisette, miel d’acacia, note empyreumatique. Son attaque est ronde, sa bouche délicate et soyeuse. La minéralité originelle a cédé la place à une gourmandise joyeuse, tout juste atténuée par une résolution un peu courte. Le romorantin a encore de beaux jours devant lui.
Bressandissime
Arrimé à son joli manoir (début du XVIIIe siècle) de Savigny-lès-Beaune, le Domaine Chandon de Briailles est dans le même giron familial depuis 1834. Son vignoble, qui couvre 13 hectares, est aujourd’hui cultivé en biodynamie. Avec les Bressandes, leur grand cru fétiche de Corton, les Nicolay réussissent souvent le doublé. Les rouges sont vinifiés en cuves ciment, avec éraflage partiel et pigeage manuel, puis élevés pendant près de deux ans, dans des fûts anciens. Les blancs, pressurés en raisins entiers, fermentent en fûts. Comme celui des rouges, leur élevage se prolonge dans les belles caves du XIIIe siècle, sous la cuverie. Aucun collage ni filtration ne vient troubler ces vins.
En dépit d’un millésime qui fut parfois délicat, le Corton Bressandes 2008 est un rouge plein de charme, qui s’avère très complet. Ses tanins sont enrobés, c’est un vin droit, fin et charnu. Sa structure et sa richesse ne masquent ni sa délicatesse d’arômes (petits fruits rouges, eucalyptus), ni son fruit, pur et déjà bien fondu. Très exactement celui des pinots qui se dorent à mi-coteau, dans une terre équitablement argileuse et calcaire, sur les quatre parcelles dont le domaine dispose sur ce climat.
Le Corton blanc 2008 provient, lui aussi des Bressandes, du moins en bonne partie. Le climat n’est pas ici revendiqué, et ne le pourrait pas d’ailleurs - la sourcilleuse règlementation des AOC s’y oppose dans cette couleur. Mais l’origine ne trompe pas. Tirée d’un sol profond, la puissance du vin s’impose, sans néanmoins trahir sa finesse. Son bouquet décline le nuancier des grands chardonnays, sa bouche est corpulente, plutôt grasse, mais gainée dans un corset acide qui en sauvegarde la fraîcheur ... Bien qu’il soit élevé (gotha bourguignon oblige), le prix de cette paire de Corton n’a pas encore rejoint la stratosphère dans laquelle se complaisent certains domaines stars de la région. Merci pour les amateurs.
Châteaux des causses
Il est des vins qui sont des havres du goût, les repères jamais démentis d’une vraie saveur terrienne. Ceux-là sont rarement les plus bruyants. En survolant récemment les appellations Minervois et Corbières, on a ainsi retrouvé deux vieilles connaissances. En toute discrétion, le Château Villerambert Moureau (Caunes-Minervois) accouche depuis plusieurs décennies d’un Minervois traditionnel, jamais pris en défaut. Dans le verre, un véritable ami de trente ans ! Les frères Moureau restent fidèles aux cuvaisons longues que pratiquait leur père, Marceau. Le rouge Tradition 2009 est bâti sur la syrah (80 %, solde en grenache). Odeurs de garrigue et de petits fruits rouges, il respire le parfum des chemins au pied des causses. Les tanins sont souples, la bouche pleine, agréablement tactile. Même franchise mais densité plus affirmée dans la Cuvée des Marbreries Hautes 2008. Elle évoque les carrières de marbre rouge de Caunes, le fameux marbre du Trianon. Dans cette cuvée, la syrah, issue d’un sol schisteux, joue seule la partition, et le vin est élevé en fûts : nez épicé, tanins serrés, concentration sans fard. Loin des modes œnologiques, ce classicisme teinté d’une pointe de rusticité est décidément rassurant.
Cap maintenant vers l’univers minéral des hautes Corbières. Philippe Courrian, propriétaire du Château Tour Haut-Caussan en Médoc, y a posé ses valises au début des années 90. Son Château Cascadais gîte dans un coin retiré de Saint-Laurent-de-Cabrerisse, au bord d’une jolie rivière, la Nielle, qui s’épanouit en petites cascades - d’où son nom. Dans ce décor virgilien, Philippe Courrian n’a pas cherché midi à quatorze heures. Avec de vénérables carignans, des grenaches d’âge mûr, assortis de syrah, de mourvèdre et d’une pincée de cinsault, il réalise une seule et unique cuvée (jeunes vignes exceptées). Un vieux réflexe girondin, sans doute. La complémentarité des cépages exerce sa magie, des barriques médocaines apportent leur soutien, et l’affaire est superbement emballée : rondeur du fruit, fiabilité de la charpente, régularité sans faille ... Dans son habit grenat, le 2010 campe sur une structure fraîche. C’est net et solide, fin et gourmand à la fois. Pour nos deux domaines, la douceur des prix complète enfin le tableau moral.
Tous droits réservés © 2011, Michel Mastrojanni (texte et photos)