CARNET DE CAVE N°17
 


Où lon parle des vins du Château de Pressac (Saint-Emilion grand cru classé) et du Château de Saint-Martin (Côtes de Provence cru classé), mais aussi des cidres du Cotentin.



Un soupçon de pressac

A Saint-Etienne-de-Lisse, toisant la vallée de la Dordogne, il se perche en haut d’un tertre magnifique, strié de terrasses où serpentent les rangs de vigne. Le Château de Pressac - bientôt une quarantaine d’hectares, de surcroît en un seul tenant - a vraiment fière allure. Une situation altière qu’il occupe depuis l’époque médiévale puisque c’est ici, dit-t-on, que fut conclue la reddition anglaise après la bataille de Castillon, qui marqua la fin de la Guerre de Cent Ans. Venu du monde de l’entreprise, Jean-François Quenin a repris cette imposante propriété en 1997. Il a rénové le domaine en profondeur, largement défriché les parties boisées, et surtout créé cette étonnante architecture viticole en courbes de niveau.

 


Juché sur sa butte, un château de style néo-gothique
 

Par ses multiples configurations de sol et d’exposition (en plateau, côte et pied de côte), le vignoble de Pressac est un véritable résumé du terroir local. A côté du classique encépagement de Saint-Emilion, il héberge une variété moins courante, l’auxerrois (ou malbec) - celui de Cahors. On le dénomme pressac en région libournaise, à l’instar du château. Côté chai, Jean-François Quenin est de l’école novatrice. Il a adopté des procédés originaux comme une table densimétrique pour trier les raisins, ou un robot pigeur qu’on déplace par rail au-dessus des cuves. La cuverie elle-même a été entièrement réaménagée de façon gravitaire. Quant au parc de barriques, ce propriétaire pragmatique a résolu ses besoins simplement … en rachetant sa propre tonnellerie à Gaillac.
 


 

Le Château de Pressac a été promu grand cru classé en 2012, lors de la dernière révision du classement de Saint-Emilion. Dans le premier vin, la part belle échoit au merlot (70%), secondé par le couple des cabernets (avantage au cabernet franc). Une pincée de pressac, mais aussi de carmenère (4% à eux deux), pimente l’assemblage. Le Château de Pressac 2016 s’annonce dans la lignée du millésime, plutôt exceptionnel. Grenat sombre, il révèle un équilibre remarquable, avec sa bouche pleine et consistante, ses tanins feutrés, sa matière saine et épanouie. L’ensemble est sûr de lui, sans esbroufe, doté d’une réserve qui devrait le mener loin. Le 2012 atteint sa vitesse de croisière. Robe pourpre, arômes bien dégagés, il dénote une belle dynamique en bouche, réussissant le parfait compromis entre rondeur et fraîcheur.



 

De mère en fille

Sur la commune de Taradeau (Var), au milieu de vallons parfumés, les vignes du Château de Saint-Martin prennent le soleil au pied d’une colline boisée, que coiffent la tour Taradel et une petite chapelle romane. Aujourd’hui à la tête de ce cru classé des Côtes de Provence, Adeline de Barry perpétue la tradition féminine du domaine. Une continuité des femmes quasi ininterrompue depuis l’installation de sa famille en 1740 - à l’exception de son propre père, le comte de Rohan-Chabot (qui fut l’un des promoteurs du classement de 1955).

Les cinquante hectares du vignoble sont cultivés selon les principes de l’agriculture raisonnée (Tierra 5). Les vendanges sont faites en partie de nuit, pour protéger le raisin des excès de température. La vinification obéit aux canons du jour, l’élevage des vins s’effectue en cuves souterraines, mais aussi dans les fûts qu’abritent les vénérables caves du château, creusées au Moyen Age par les moines de Lérins. On est ici en terre provençale, les rosés sont donc naturellement majoritaires.
 


 

Le Château de Saint-Martin est proposé en deux gammes, Grande Réserve et Comtesse. Le rosé Grande Réserve 2016 agite un cocktail de cinq cépages (grenache, tibouren, cinsault, carignan, syrah). Arme de séduction prioritaire, son exubérance aromatique, fouettée par la macération pelliculaire. Le blanc Grande Réserve 2016 est un mariage de clairette, rolle et ugni blanc. Frais et caressant, il a beaucoup d’élégance, avec une fine amertume pour le rehausser. Quant au rouge Grande Cuvée 2014, il joue une partition fruitée, ensoleillée, nettement marquée par le grenache.

Dans le blanc Comtesse 2015, le rôle principal revient au rolle (60%). Assagi par 12 mois d’élevage (cuves et fûts), le voici charnu, onctueux, floral, mais quelque peu vanillé par le bois. Le rouge Comtesse 2014 célèbre le trio grenache-syrah-carignan, avec une forte proportion de ce dernier (40%). Cela donne une composition pleine et mûre, veloutée et épicée. Les vins du château ont tous adopté la bouteille bordelaise. Seule L’Eternelle Favorite, l’autre rosé du domaine, emprisonne son capiteux bouquet dans une verrerie originale, galbée comme un flacon de parfum. Sans doute pour résumer l’esprit du lieu.


 

Les vergers de la gloire

Dérogeons maintenant à la monomanie vineuse du Mastroquet : cap vers le Cotentin et son cidre. Vers cette proue de la Normandie, ses horizons marins aux atmosphères debussystes, sa côté écorchée et ses plages sans fin, son bocage et ses maraîchages … et bien sûr ses vergers de pommiers. Au lendemain du dernier conflit mondial, ceux-ci recouvraient la moitié des superficies agricoles de la Manche. Aujourd’hui, ils n’en constituent plus que ... 2 %. Sur cette base resserrée, les producteurs de la péninsule - résistants ou nouveaux venus - ont patiemment œuvré. En 2016, ils ont obtenu une nouvelle AOC : Cidre Cotentin.
 

  

Derrière des haies naturelles, leurs vergers s’inscrivent harmonieusement dans le cadre bocager de la presqu’île. Les variétés de pomme sont locales. Amères et douces-amères (au moins 60% de l’assemblage), douces et acidulées, elles fleurent bon la campagne normande : Binet rouge, Taureau, Tête de Brebis, Clos Renaux, Petit Jaune, Grasselande … A la fermentation succède une prise de mousse naturelle - ici pas de gazéification et de pasteurisation, comme dans l'écrasante majorité du secteur cidricole. L’appellation, de façon inédite, permet d’afficher la mention extra brut (moins de 18 g de sucre résiduel) et même d’annoncer le millésime - le monde du vin n’est pas vraiment loin. Une petite dizaine de producteurs la revendiquent actuellement.
 


 

Le Cidre Cotentin respire les odeurs de son bocage natal. Quelques flacons pour s’en convaincre, comme ces deux classiques de Jean-François Vaultier (Ferme de la Commanderie à Grosville) : un extra brut à la belle couleur orangée, au nez puissant, à la bouche ferme et vigoureuse ; un brut à la robe jaune doré, à la rondeur débordante de fruit, affutée par de jolis tanins. Présidente du syndicat des producteurs, Marie-Agnès Hérout (Caves Hérout à Auvers) travaille en bio : son brut 2015 déploie une couleur triomphante et tout un arsenal de saveurs fruitées. On retrouve cette typicité dans les bouteilles de Damien Lemasson (Cidre Lemasson à Cametours), qui pratique lui aussi l’agriculture biologique. Derrière le damier coloré de l’étiquette (qui rappelle un Vasarely) pétille l’or de l'extra brut 2015. Grâce à son amertume délicate, sa tannicité incisive, ce cidre sait se tenir à table. On en a fait la délicieuse expérience sur un suprême de pintade aux herbes et chou rouge.
 

La mer en toile de fond (pointe de Barfleur) 

 

Tous droits réservés © 2017, Michel Mastrojanni (texte et photos)




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