SAVENNIÈRES

 

Le vol du Papillon

 

La dégustation se déroulait l’hiver dernier au Château des Vaults, le navire amiral du Domaine du Closel. Dans le décor chaleureux de cette vieille demeure angevine, Evelyne de Pontbriand avait rassemblé une vingtaine de millésimes de son Clos du Papillon, l’un des crus qui font la légende du Savennières.
 

Le Clos du Papillon devrait son nom, dit-on, à sa forme vue du ciel : les ailes déployées d’un coléoptère. C‘est en tout cas l’une valeurs consacrées de l’appellation. Partagé entre quelques propriétaires, il est détenu notamment par le Domaine du Closel. De longue date, les Jessey le vinifient à part. C’est donc un pan du Savennières qu’on a parcouru à travers ces récoltes, du 2007 jusqu’au 1998 - avec quelques manquants (2003, 2000, 1994).

 

Le clos en son chai

Le Clos du Papillon occupe le premier coteau de Savennières, sur son flanc occidental. Il bénéficie ainsi d’une remarquable exposition (sud/sud-ouest). Son terroir porte la signature du cru, des schistes gréso-argileux agrémentés de leur fameux cocktail volcanique (phtanites et rhyolites). Les sols sont alternativement enherbés et labourés. Les vignes de chenin ont un âge respectable, les plus anciennes remontant à l’avant-guerre. Leurs rendements sont mesurés (25 hl/ha en 2007). La récolte s’opère généralement en trois passages. Depuis 2006, le domaine était en reconversion biologique : la certification a été obtenue à partir du millésime 2009. Une expérimentation de byodynamie s’est depuis ajoutée.

Un chai à barriques, avec des pièces de 400 litres en chêne de l’Allier, est dévolu spécialement au vin du clos. La rotation des barriques est quadriennale. Après un pressurage doux, les jus fermentent lentement, souvent durant tout l‘hiver. La fermentation malolactique est partielle. Depuis 2006, grâce à une climatisation du chai, l’élevage a été allongé à 24 mois.

 

Nuances de robe

 

Le millésime 2007 a inauguré la période "bio" du domaine. Encore dans la gangue de la jeunesse, il exhale des notes de violette et de fleurs blanches, avec une touche capiteuse. Sa soie parfumée, dont la délicatesse n’exclut pas une belle fraîcheur, son harmonieuse finale donnent les gages d’un avenir plutôt radieux. Comme le léger froissement des ailes du papillon qui prend son envol.

 

Froissement d’ailes

Après ce début aérien, comme dans chaque dégustation verticale, plusieurs années se détachent. Habillé d’or clair, le 2005 possède déjà beaucoup de grâce : nez discrètement miellé, bouche glissante et aromatique. Millésime tardif, le 2002 semble lui presque à point : reflets bronze, nez pétrolant, bouche emplie des flaveurs du cru (miel, cire d’abeilles), le tout délivre la sensation d’être au cœur du clos. Issu d’une année froide, le 2001 se venge aujourd’hui de cette ingratitude initiale : robe dorée à souhait, arômes oscillant entre végétal (tilleul, acacia) et confit, harmonie des contours et belle rémanence, un vin dont on se régale désormais. Quant au riant 1999, il agrémente de coing et de poire sa puissance naturelle.

Le 1997 est très réussi : or profond, effluves de caramel au lait et de figue sèche, bouche opulente et expressive, l’ensemble est délicieux. La couleur du 1995 tire légèrement sur le ton cognac : de belles réminiscences minérales, une matière assez tactile, restituent le Savennières d’antan. On apprécie tout particulièrement le 1993, d’une exceptionnelle fraîcheur : robe encore claire, notes florales, bouche charnue et gracieuse, petites touches confites pour enrober la finale, le vin n’a pas pris une ride. Il témoigne en tout cas du potentiel de garde du Clos du Papillon, surtout lorsqu’il est sublimé de cette façon. Les années remarquables se concluent sur le duo attendu du 1990 et du 1989 : nobles arômes miellés, richesse et puissance pour le premier, notes d’angélique, franchise et fraîcheur pour le second, qui reste jeune après bientôt deux décennies de bouteille.

 

Chantier de dégustation

 

Du 2006, un peu trop corsé, et du 2004, un peu trop en rondeur, se dégagent néanmoins des impressions agréables. Et les traces de vieillissement, d’oxydation, de sécheresse qui marquent le 1996, le 1992, le 1991 et le 1988, rappellent seulement que le vin possède une courbe de vie éminemment fluctuante. Mais pas de quoi suspendre le vol allègre du Papillon, d’un millésime à l’autre.

 

Tous droits réservés © 2010, Michel Mastrojanni (texte et photos)

 




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