CARNET DE CAVE N°10
 

Où lon parle des vins du Château d’Epiré (Savennières), du Domaine de la Chevalerie (Bourgueil), du Domaine de Juchepie (Coteaux du Layon-Faye) et du Domaine de la Grange des Pères (Pays d’Hérault).
 

Défense du patrimoine

Le vin du Château d’Epiré pourrait résumer à lui seul tout ce qui fait l’originalité du Savennières. Luc Bizard - depuis qu’il a repris les rênes de la propriété familiale, voici bientôt un quart de siècle - s’attache à conserver la spécificité de cet immense cru de Loire. La cuvée "château", qui représente l’essentiel de la production du domaine, le prouve sans difficulté. Avec son caractère parfaitement sec, sa minéralité naturelle, sa fraîcheur préservée par une fermentation malolactique très partielle (20%), elle invite à goûter la beauté classique du chenin : 2012 vif et engageant, embaumant chèvrefeuille et verveine ; 2009 rond et soyeux autour de son noyau minéral ; 2008 (goûté en magnum), toucher de taffetas et fins accents amers ; 2005 puissant mais svelte, désormais bien ouvert. Encore juvénile, le 2013 se montre nerveux et étoffé, derrière ses arômes d’agrumes.
 

Château d`Epiré
 

Produite aux abords de la Coulée de Serrant, la Cuvée spéciale du château ne fait aucune malo ; elle est vinifiée et élevée en fûts de châtaignier. C’est elle sans doute qui représente le mieux les fondamentaux du cru : rigueur minérale dans un premier temps, volupté gourmande venant ensuite, lentement, avec le vieillissement. Le 2012, d’attaque vive, est solide et musclé. Déjà assagi, le 2007 s’enrobe de chair délicate, tout en conservant son amertume. L’harmonieux 2004 combine finesse, souplesse et réminiscences minérales. Et le temps a maintenant transfiguré le 1997, qui déroule une tapis soyeux et odorant, où se conjuguent miel de genêt, terre et notes confites.

La Réserve du maître de chais est une sélection des meilleures barriques, passée en fûts d’acacia. Le 2010 est strict, réservé, à attendre encore. La cuvée Le Hu Boyau provient d’une vieille parcelle du domaine, donnant des vins naturellement riches. D’approche plus aisée (fermentation malolactique totale), elle n’en reste pas moins fidèle à la typicité du cru, comme en témoigne un 2012 plein et charnu, discrètement minéral. Ajoutons que le Château d’Epiré produit également des vins moelleux - il fut même, pendant très longtemps, le seul à maintenir cette tradition oubliée du demi-sec. Un véritable conservatoire de l’appellation, vous dit-on ...

 

Les chevaliers du cabernet

Serviteurs dévoués du Bourgueil, Pierre Caslot et ses enfants sont héritiers d’une dynastie de vignerons qui court sur quatre siècles. La famille oeuvre à Restigné, au Domaine de la Chevalerie, en appliquant les canons de l’agriculture biologique. Le cabernet franc module son caractère au gré des parcelles, selon les différentes strates du terroir, en remontant des rives de Loire jusqu’au sommet du coteau. En bas, les graviers alluviaux donnent les vins frais et vite accessibles de la cuvée Diptyque. Tout en haut, sur les sables éoliens en bordure de forêt, Peu Muleau engendre également une cuvée précoce : le 2012 est souple et fruité, le 2011 tendre et aromatique.
 

vignoble Bourgueil

Dans les vignes bourgueilloises
 

Entre les deux, on n’a que l’embarras du choix. Au pied du coteau, sur un sol argilo-siliceux, Galichets livre un vin à attendre un peu plus : le 2012 hésite entre substance et gourmandise, le 2011 est chaleureux, avec de la mâche. Sur le même substrat d’argile et de sable, Chevalerie regroupe des vieilles vignes (65 ans en moyenne) : le 2011 reste un brin sévère, le 2008 est rond, velouté, tout à fait épanoui. A mi-pente, les vignes âgées de Busardières puisent dans la matrice argilo-calcaire : le 2012 oscille entre charpente et côté friand, le 2011 est corpulent mais déjà goûteux. Au même étage, les vignes relativement jeunes de Bretèche fournissent une cuvée élégante, qu’on vérifie dans la chair fruitée, la finesse et la droiture du 2010. Un peu à l’écart, sur le village voisin de Benais, les argiles plus froides de Grand-Mont donnent un Bourgueil de garde : le 2012 tient l’équilibre entre le fruit et la matière, le 2011 s’avère sérieux et tannique.

Quant au millésime 2013, il a été si peu généreux que les Caslot ont réuni toutes leurs cuvées en une seule, baptisée Incroyable. La qualité des parties garantissant celle de l’ensemble ...

 

Le Layon sans chichis

Il devient parfois difficile, en Layon, de se repérer dans le fouillis des vins, tant se multiplient les cuvées hors normes, diluant les frontières entre sec, doux, moelleux ou liquoreux. Au Domaine de Juchepie, sur la commune de Faye-d’Anjou, la cohérence de la gamme reste de mise. Les intervalles sont respectés, on monte en puissance par paliers réguliers, sans digressions inutiles. On précise que les propriétaires, Eddy et Mileine Oosterlinck-Bracke, cultivent leurs sept hectares en biodynamie, avec de faibles rendements.

Donc l’Anjou blanc Les Monts 2011, quoique vendangé par tries successives, est un vin bien sec : à lui cependant la rondeur, la matière et le fruité de grains dorés à point. On retrouve ce cocktail, en plus appuyé, dans Le Clos 2010, issu d’une parcelle à mince couche argileuse, où filtre la minéralité de la roche-mère. Les Churelles ouvre le bal des Coteaux du Layon-Faye. Titrant au minimum 16° naturels, cette cuvée provient d’un terroir de rhyolites. Le 2011 révèle un vin uni, homogène, bien équilibré. Les Quarts, plus franchement moelleux (au moins 17°5 naturels) se récolte, lui, sur un sol schisteux jonché de spilites. Le 2010 rassemble une opulente corbeille de fruits mûrs.
 

couleur Layon


La Passion nous bascule sur le versant liquoreux. Issue de tries de raisins fortement botrytisés ou passerillés, cette cuvée (au moins 19° naturels) séjourne 18 mois dans des barriques neuves pour moitié. Véritable geyser de fruits confits, le 2009 est remarquable d’onctuosité et de concentration. Le bois neuf, en revanche, est intégralement convoqué dans la vinification et l’élevage de La Quintessence (au moins 21°naturels). Le 2005 déverse une somptueuse liqueur épicée. A savourer pour elle-même, en admirant ses reflets topaze … car le dégradé des couleurs, chez tous ces vins, n’est pas le moindre plaisir de la dégustation.

 

Retour à Aniane

Réchauffés par le vin de Laurent Vaillé, l’invisible vigneron d’Aniane, nos joyeux déjeuners du dimanche se poursuivent aux portes de la capitale (voir notre Carnet de cave n°3). La blanquette et l’entrecôte sont toujours au rendez-vous, illuminés par les éclats pourpre de leur accompagnateur obligé, le rouge du Domaine de la Grange des Pères - dont on rappelle l’humble statut, une simple IGP Pays d’Hérault.

Le vin culte continue de tenir ses promesses. Le 2008 est ferme, ramassé, laissant s’échapper des bouffées de garrigue parfumée. D’un seul bloc, il joue la rectitude et la complexité. Par contraste, le 2009 témoigne d’une richesse presqu’insolente. Le vin est gorgé de fruits mûrs, mais sa densité de matière emballe le tout. Sous sa robe carmin, le 2010 est une réussite flamboyante, avec des envolées de violette, de cassis, de cèdre, d’herbes sauvages, d’amarena. L’alcool est puissant mais parfaitement contenu, le fruit d’une pureté cristalline, la trame de velours. Ils soutiennent une bouche plantureuse, aussi profonde que pulpeuse, et signent un millésime particulièrement complet. Comme les agapes se déroulent en proche banlieue parisienne, tressons simplement à cette bouteille une petite couronne - histoire de ne pas bousculer la modestie de son géniteur.
 

GdP 2010

Tous droits réservés © 2014, Michel Mastrojanni (texte et photos)




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