CARNET DE CAVE N°18

 

Où lon parle des vins du Château Angélus (Saint-Emilion premier grand cru classé A) et du Domaine Hering (Alsace).

 

Pour qui sonne l’angélus

Trois fois par jour, depuis les clochers de Saint-Emilion et de Saint-Martin de Mazerat, l’angélus tintait au-dessus des règes, invitant le vigneron au recueillement. Ce pieux appel imprégnait le paysage à tel point que le Château Angélus en adopta le nom. Hommage sonnant et rutilant, un campanile coiffe aujourd’hui le faîte du château, désignant de loin la propriété, par ses sonneries et le jeu de la lumière sur ses carillons. Détenu par la famille de Boüard depuis l’aube du siècle dernier, le Château Angélus est devenu l’une des stars de Saint-Emilion. En 2012, il a conquis le graal bordelais, en se hissant sur la plus haute marche du classement local - la fameuse classe "A".

Le timbre des bourdons enchante toujours les lieux, amplifié par la caisse de résonance de l’amphithéâtre naturel que dessine le vignoble. Les rangs de ceps courent sous les fenêtres du château pour mieux s’élancer à l’assaut de la côte sud de Saint-Emilion. Ils offrent alors leurs pampres au plein soleil de ce versant méridional, dont la flore s’enrichit de réminiscences méditerranéennes. Le Château Angélus manifeste son inclination pour le cabernet franc (47 % de l’encépagement), connu pour apporter de la fraîcheur au vin. Ce cépage prend ses aises en pied de côte, sur des sols sablo-argilo-calcaires, tandis que le merlot préfère la texture plus argileuse du coteau.
 

Le campanile au-dessus des vignes

Une volée de cloches pourrait sonner la venue du dernier né de la cave. Le Château Angélus 2017 est ressorti quasi indemne de l’épisode de gel printanier qui a durement touché le vignoble de Bordeaux, avant une vendange particulièrement précoce (démarrée le 13 septembre). Le merlot domine l'assemblage (70 %), épaulé par le cabernet franc (30 %). S’en dégage un vin plutôt radieux, bien coloré, finement charnu, très franc de goût. Son fruit direct, ses tanins doucement enrobés lui confèrent son éloquence simple et immédiate.

Mais profitons de cette naissance pour célébrer une trinité remarquable, celle des trois millésimes qui l’ont précédé (dégustés, eux aussi, en primeur). Comme les trois coups répétés de l’angélus, leurs vibrations résonnent encore à nos papilles. Le Château Angélus 2016 doit son destin de miraculé au merlot (60 %) des zones argileuses ainsi qu’aux vieilles vignes de cabernet franc (40 %), qui ensemble ont éloigné le spectre de la sécheresse. Robe sombre, chair satinée, sillage de fruits noirs et de fines épices, il conjugue fraîcheur et douceur, rayonne de franchise, se résout dans une finale de velours.
 

L’immuable cloche de l’étiquette

Récolté dans un état sanitaire irréprochable, le Château Angélus 2015 (merlot 62 %, cabernet franc 38 %) rend grâce à sa genèse solaire. Couleur d’encre, notes de graphite et de baies noires, la bouche est pleine, gourmande, d’une longueur soyeuse. Quant au Château Angélus 2014, réchappé d’une année délicate mais rattrapée par sa belle arrière-saison, il revendique la parité absolue du merlot et du cabernet franc (50 % chacun). Teinte soutenue, nez plutôt retenu, fruits noirs, tanins feutrés, le cabernet lui dispense son grain, sa matérialité, sa tonalité plus intériorisée. Seule sonorité légèrement discordante dans ce trio carillonnant : le prix des bouteilles, qui pousse très haut la note aiguë.

C’est désormais Stéphanie de Boüard qui dirige la propriété, en compagnie de son cousin Thierry Grenié. Le duo vient d’engager la conversion du vignoble en agriculture biologique. C’est une première au sein des premiers grands crus classés de Saint-Emilion, qui fera sans doute des émules chez les pairs. L’expérience avait d’ailleurs été déjà entamée, voici trois ans, sur une autre propriété familiale, le Château Bellevue (grand cru classé, merlot exclusif, millésime 2017 linéaire et sans bavures). Au terme de cette nouvelle étape, nul doute que l’écosystème s’en portera mieux. Alors on se réjouit d’entendre l’alouette et le pinson s’égosiller plus souvent, et joindre leur chant aux cloches rythmant les saisons de l’Angélus.

Post scriptum
Dégusté lui aussi en primeur, le Château Angélus 2018 ne dépare pas cette belle série. Les sautes d’humeur de la météorologie, la surabondance de précipitations n’ont pourtant pas facilité le cours des choses jusqu’à la mi-juillet. Mais l’été chaud, et dépourvu d’excès, a rétabli l’équilibre et amené le raisin jusqu’à parfaite maturité. Hubert de Boüard, à propos de ce millésime, parle d’un phénix. Le merlot l’emporte dans l‘assemblage (65%) : robe noir grenat, notes de bois et de cassis, fruit profond, structure ferme mais veloutée, l’ampleur de l’ensemble est prometteuse.

 

 

Le clos dans la ville

A l'origine, il appartenait au chapitre de la cathédrale de Strasbourg. En 1792, il fut ajouté au domaine que s’était constitué Louis Félix Marco, avocat au Conseil souverain d’Alsace et bailli de la seigneurie de Barr, avec pour pièce maîtresse la folie qu'il avait fait édifier, entre 1760 et 1763, aux portes de la petite cité. Cette magnifique demeure - léguée à la ville en 1960 - est depuis un musée de charme, où l’on hume le parfum de la vieille Alsace, entre mobilier d’époque, fonds d’alsatiques (ouvrages régionaux), collections de faïences, de porcelaines et d’étains. Le Clos de la Folie Marco est donc la grande parcelle de vigne (1,3 ha) qu’on admire depuis les balcons de la gentilhommière, enchâssée aujourd’hui dans l’agglomération barroise. Depuis 1962, ce joyau est exploité en fermage par le Domaine Hering, son voisin immédiat, lui-même détenteur d’un superbe patrimoine viticole sur le grand cru Kirchberg de Barr.
 

Le lion protecteur du clos

Le clos, serti dans la ville, profite amplement de son environnement : protection des vents du nord grâce au tissu urbain, fraîcheur apportée l’été par la source du Gaensbroennel, dont la fontaine monte la garde en haut du clos, maturité accélérée par une température moyenne plus élevée ... Le vignoble se répartit entre le sylvaner (70 %) et le riesling (30 %). Le sylvaner trouve ici, dans les sols argilo-calcaires du secteur de Barr, un terroir d’élection - rappelons l’existence, à quelques pas de là, sur Mittelbergheim, du Zotzenberg, le seul grand cru d’Alsace à accueillir ce cépage, trop souvent délaissé. Au clos, ses vignes dépassent 70 ans et produisent avec près d’une quinzaine de jours d’avance. Comme dans le reste du domaine, Jean-Daniel Hering les cultive en bio depuis 2011.
 

Une étiquette récemment revisitée

Issu d’une petite récolte (la plus faible depuis 1985), le Sylvaner Clos de la Folie Marco 2017, sous sa robe vert pâle, témoigne d’un fruit précoce. Son côté frais, légèrement tranchant, est tempéré par une pointe de gras, le tout est animé d’une énergie printanière, d’une vivacité joyeuse. Le Riesling Clos de la Folie Marco 2016, contrairement au précédent, fut vendangé tardivement, pour compenser les lenteurs de maturité du millésime. Il exprime maintenant toute sa générosité, mais sa corpulence, sa texture charnue n’excluent ni ressort, ni minéralité de fond, signatures du cépage et du cru. Ces qualités d’élégance et d’équilibre ne déparent certainement pas la belle architecture XVIIIe qui veille sur lui.


 

Tous droits réservés © 2018, Michel Mastrojanni (texte et photos)




Créer un site
Créer un site