CARNET DE CAVE N°20
Où l’on parle du Château Pavie (Saint-Emilion premier grand cru classé A) et d’une sélection de Champagnes en biodynamie.
La côte inspirée
Le seigneur des lieux ne dépare pas le décor. Dégusté en primeur, le Château Pavie 2018 (60% merlot, 22% cabernet franc, 18% cabernet-sauvignon) donne la mesure du millésime. Un cycle passablement chahuté, envahi d’eau pendant un interminable début de saison, relancé grâce à l’été chaud, achevé par des vendanges radieuses, à pleine maturité. Dans son carmin sombre, le grand vin se montre plutôt retenu au nez, avec ses notes de baies noires et de petits fruits rouges écrasés. Mais le corps est dense, les tanins sont fermes, finement enrobés. Bois et fruit s’épousent parfaitement (80% en barriques neuves, 20% en barriques d’un vin) et donnent sa longueur à l’ensemble. Le second vin - issu de parcelles plus jeunes, échelonnées du pied de côte jusqu’au plateau - n’est pas en reste. Les Arômes de Pavie 2018 (65% merlot, 18% cabernet franc, 17% cabernet-sauvignon) révèlent un vin plein, homogène, dont le nez expansif et les tanins feutrés ajoutent à son caractère déjà très séduisant.
La lumineuse salle de dégustation du Château Pavie
Ces fastes actuels ne nous font pas complètement oublier le Pavie d’antan, celui des riches heures de l’époque Valette. Dernièrement, par la grâce d’un ami, le Château Pavie 1961, en magnum, venait livrer son témoignage. Couleur préservée, arômes légèrement torréfiés, bouche sérieuse mais finale de velours, ce noble cinquantenaire imposait sereinement son équilibre impeccable, sa plénitude apaisée ... De la continuité des grands vins.
De la tisane aux bulles
Un nouveau chemin pour le Champagne ?
Région de tradition productiviste, plutôt addicte à l’arsenal phytosanitaire, la Champagne ne semblait pas spontanément ouverte à la biodynamie. Il faut se souvenir du temps - pas si lointain - où ses vignes étaient envahies de gadoues, leurs sols constellés de couleur bleue (lambeaux plastique des poubelles parisiennes qu’on déversait en guise d’amendement). Aussi doit-on louer, même si la préoccupation environnementale ne gagne que lentement, toute tentative de réconciliation du vigneron avec le milieu naturel.
En 1989 à Courteron dans l’Aube, Jean-Pierre Fleury, en convertissant ses premières parcelles à la biodynamie, fut le précurseur. L’imitèrent une poignée de producteurs, parmi lesquels Anselme Sélosse et Erick De Sousa, tous deux à Avize. A l’aube du millénaire, des maisons comme Leclerc Briant à Epernay rejoignirent la démarche. Mentionnons ici Louis Roederer, grand nom de la légende rémoise. La célébrissime maison, passée d’abord par l’étape bio, exploite désormais une grande partie de son vignoble en biodynamie, sous l’étendard de la mythique cuvée Cristal.
Cave champenoise
Fabrice Dehoche, passionné de vin et futur chantre de la biodynamie champenoise, avait récemment organisé une dégustation (à l’aveugle) confrontant la majorité des acteurs de cette nouvelle filière. En dépit de la relativité de l’exercice, on a retenu plusieurs noms. Dans la Vallée de la Marne, à Vincelles, Jérôme Blin produit une nerveuse cuvée Octave, extra brut de pur chardonnay. Installé à Baslieux-sous-Châtillon, Franck Pascal honore logiquement le pinot meunier ; ce cépage constitue l’essentiel de sa cuvée Reliance, solide et équilibrée (brut nature). Aux portes d’Epernay, à Mardeuil, le remuant Vincent Charlot ficelle un joli mariage pinot meunier-chardonnay, assaisonné d’une touche de pinot noir, dans sa cuvée Le Fruit de ma Passion 2012 (extra brut). Et chez Marc Augustin, à Avenay-Val d’Or, la vivifiante cuvée CCXIV Air (brut nature) fait un clin d’œil à l’élément aérien de l’univers biodynamique.
Vallée de la Marne
Sur la Montagne de Reims, le blanc de blancs L’Amateur de David Léclapart, net et sans bavures, rend hommage aux chardonnays de Trépail. De son côté, Sébastien Mouzon, sous la marque Mouzon-Leroux, élabore le grand cru L’Atavique, un pur Verzy ; majorité de pinot noir, vinification partielle en fûts, c’est un extra brut généreux en fruit. Dans la Côte des blancs, à Avize, Pascal Agrapart réunit ses différentes parcelles dans la cuvée 7 Crus, fine composition où s’impose bien sûr le chardonnay (90%). A Cramant, Philippe Lancelot - qui a hérité du côté malicieux de son oncle, le regretté Jacques Wanner - a rassemblé la crème de ses chardonnays grand cru dans la Fine Fleur 2012, un brut nature tendre et floral.
Côte des Blancs
Dans la Côte des Bar, à Polisot, Dominique Moreau exploite la marque Marie Courtin : exclusivité de pinot noir dans sa fraîche et souple cuvée Résonance 2014 (extra brut). A Buxières-sur-Arce, la marque Vouette et Sorbée appartient à Bertrand Gautherot : uniquement du pinot noir dans sa cuvée Fidèle (extra brut), tout en fruit et rondeur. Fermons le ban avec deux vétérans de la biodynamie, déjà cités. Le brut Blanc de Noirs de Fleury est d’une agréable vinosité, tandis que le Tradition de De Sousa (parité de pinot-chardonnay) exprime son fruit avec beaucoup de franchise et de spontanéité.
Tous droits réservés © 2019, Michel Mastrojanni (texte et photos)